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Chroniques
Péter Eötvös
Три сестры | Trois sœurs
Si Péter Eötvös (né en 1944) s’est intéressé à la direction d’orchestre au milieu des années soixante-dix, puis à la pédagogie une quinzaine d’années plus tard (à la Hochschule de Karlsruhe et à celle de Cologne, notamment), c’est sans jamais délaisser la composition. Depuis le début des années soixante, en effet, le créateur hongrois a livré des œuvres avec régularité, dont quelques-unes pour la voix – Drei Madrigalkomödien (1963/90), Endless Eight I (1981) et II (1988/89), Atlantis (1995) [lire notre chronique du 9 février 2007 et notre critique du CD], etc. Le chant prend une place primordiale dans la carrière du musicien avec Trois sœurs, commande de l’Opéra national de Lyon qui en assure la création le 13 mars 1998 – et plus encore depuis lors, comme il le confiait à notre média, à l’occasion de la naissance de Die Tragödie des Teufels (2010) et de la programmation française de Love and other demons (2008) [lire notre entretien].
Après avoir imaginé mettre en musique le destin d’une Miss Hongrie poussée au suicide par l’acharnement de réseaux financiers, Péter Eötvös s’oriente finalement vers Tchekhov et choisit Trois sœurs parce que la pièce foisonne de personnages. Conçu avec Claus H. Henneberg, le livret resserre en trois séquences les moments clés des quatre actes créés en 1901, en s’attachant successivement à Irina, Andreï puis Macha, plutôt qu’au flux temporel des événements. Ainsi, ce n’est plus en dernière instance que les sœurs Prozorova reportent leurs espoirs dans le temps futur, mais dans le Prologue de l’opéra, de même que l’anniversaire d’Irina, qui permet la réunion primordiale des protagonistes de Tchekhov, est rejeté en Séquence III.
Pour le compositeur, ces « personnages insignifiants attendant l’événement improbable qui les sauvera du vide et de l’inutilité de leur vie, sans être jamais capables de le provoquer, ni même de faire le moindre choix » étaient incompatibles avec la voix féminine, dont la « présence héroïque naturelle […] ne peut pas convenir à l’anti-héroïsme des trois sœurs. Le timbre délicat et le décalage qu’introduit l’usage de contre-ténors […] semblaient plus appropriés ». Dans le même esprit, sensible au mezzo-piano tchekhovien, il a recours à un petit ensemble de dix-huit musiciens « dont la faible intensité et le raffinement coloré autorisent une écriture vocale qui s’harmonise avec le niveau sonore de la pièce » [entretien avec Alain Galliari, octobre 2001, in Programme du Théâtre du Châtelet].
Enregistré en public à Lyon en mars 1998 [lire notre chronique du 24 mars 2012], cet ouvrage chanté en russe fut précédemment disponible chez Deutsche Grammophon. Nous y retrouvons les protagonistes de la création, sous la direction sensuelle et frémissante de Kent Nagano et Péter Eötvös : les contre-ténors Alain Aubin (Olga), Vyatcheslav Kaban-Paley (Macha), Oleg Riabets (Irina), Bary Boyce (Natacha) ; les ténors Peter Hall (Le médecin) et Marc Dugay (Fedotik) ; les barytons Albert Schagidullin (Andreï), Wojtek Drabowicz (Verchinine), Dietrich Henschel (Touzenbach) et Ivan Matiakh (Rodé), ainsi que les basses Nikita Storoïev (Kouliguine), Jan Alofs (Anfissa) et Denis Sedov (Saliony). L’écoute de cette œuvre – depuis chantée aussi par des femmes [lire notre chronique du 11 avril 2013] – séduit toujours autant ; mais regrettons l’absence du livret original accompagné de sa traduction française.
LB