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Péter Eötvös
Die Tragödie des Teufels | Love and Other Demons
Créé à Glyndebourne en 2008, Love and Other Demons de Péter Eötvös fera l'ouverture de saison de l'Opéra national du Rhin, le 25 septembre (jusqu'au 9 octobre), en collaboration avec le festival Musica qui programme la création de la version définitive d'Atlantis (1995), la veille, par l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Pascal Rophé. À l'occasion de la reprise de son plus récent opéra, Die Tragödie des Teufels (La tragédie du diable), à la Staatsoper de Munich, nous rencontrions le compositeur hongrois avec lequel nous avons échangé à propos de théâtre, de musique, de musiques de théâtre, et tant d'autres choses...
Cette année, outre que vos ouvrages lyriques antérieurs suscitent de nouvelles productions, vous avez créez un nouvel opéra et vous dirigerez la première française du précédent. D’où est venu Love and Other Demons que nous verrons bientôt à Strasbourg ?
Love and Other Demons est parti d’une nouvelle de Gabriel García Márquez. Par nature, une nouvelle ne propose pas de dialogues. J’ai sollicité un dramaturge de Budapest, Kornél Hamvai, qui a fait ses études à Cambridge. La langue anglaise n’ayant pas de secret pour lui, il a livré un très beau texte comprenant quelques éléments nouveaux par rapport à la nouvelle d’origine, éléments qui la théâtralisent sans la dénaturer jamais. Avec lui, le travail a bien marché. D’une part parce qu’il était de Budapest, ce qui rendit la communication plus simple, et d’autre part parce que je lis sans problème l’anglais, bien que le parlant assez mal, et qu’en échangeant avec lui qui le maîtrise parfaitement, tout devenait vraiment facile pour changer ceci ou cela. Le livret de Love and other Demons est un poème à la forme parfaite, sur un rythme iambique rigoureusement réglé. C’est précieux pour la musique qui s’en trouve aidée, bien sûr. Comme dans un Lied, le rythme du texte se retrouve dans la partition.
La mise en scène que nous verrons à l’Opéra national du Rhin n’est pas une création maison…
Non, il s’agit de la reprise de la production de Glyndebourne, qui avait été faite en collaboration avec l’Opéra national Lituanien, en août 2008. Elle est signée Sivliu Purcarete.
Aujourd’hui, pourquoi peu de compositeurs écrivent autant que vous pour l’opéra ?
Non, ce n’est pas vrai ! Il y a Pascal Dusapin, Arribert Reinmann, Hans Werner Henze, John Adams. Tous ces musiciens font beaucoup d’opéras, vraiment.
Oui, j’en compte quatre…
Bon, ce n’est peut-être pas beaucoup, mais cela suffit, non (rires) ? Tout dépend de l’intérêt d’un compositeur pour le théâtre, vous savez. Il ne suffit pas d’aimer le théâtre, il faut aussi accepter, aimer, adopter les contraintes qu’il impose. Mais j’aime tellement ça que j’en parlerais mal ! A peine Die Tragödie des Teufels créé, alors que nous allons reprendre Love and other Demons à l’Opéra national du Rhin, je travaille déjà au prochain opéra, et celui d’après commence aussi à m’occuper l’esprit, et ainsi de suite. Dusapin vit la même chose. Il a une veine personnelle pour le théâtre, c’est indéniable. Son Uomo di fumo est tellement beau, vraiment. Je n’ai pas pu voir la création, à la Bastille, il y a quelques années. Mais j’ai entendu l’enregistrement qui m’a plus qu’intéressé. C’est dommage qu’on ne le joue pas plus, d’ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi.
C’est souvent le problème avec l’opéra contemporain : une maison crée ce qu’elle a commandé, puis, éventuellement, il peut arriver qu’elle reprenne la production quelques années plus tard, e basta. Vos opéras ont plus de chance : ils sont créés puis font rapidement l’objet d’une nouvelle production ailleurs. C’est unique, non ?
J’ai beaucoup de chance, je dois dire. Pendant cette année 2010, six de mes opéras sont joués, dans huit ou neuf maisons. L’an prochain, il n’y en aura que deux, en revanche. Au fond, je pense que lorsque ça marche, ce n’est pas très important ; c’est quand ça ne marche pas que ça devient affreusement important, bien évidemment. Pour le moment, ça va, mes opéras se portent plutôt bien. C’est surtout Trois sœurs qui a beaucoup de succès, et aussi Love and other Demons [photo suivante], deux œuvres qui, je crois, sont assez proches du public et de certaines de ses préoccupations. Angels in America fonctionne bien avec le public américain, moins facilement avec l’européen, simplement à cause de l’énergie du texte que le premier perçoit immédiatement alors que l’autre, qui lit les surtitres, est forcément toujours en retard. Angels in America va très vite, alors, les surtitres, c’est impossible. Il y a eu une représentation au Barbican de Londres : la salle était très enthousiaste. Alors, on dira que c’est un opéra pour les pays anglophones. J’ai connu une grande satisfaction avec Le Balcon cet automne, à Bordeaux [lire notre chronique du 20 novembre 2009], dans une bonne mise en scène.
Vous est-il arrivé de traduire l’un de vos opéras dans une autre langue que celle dans laquelle il avait été écrit ?
Oui, je l’ai fait avec Trois sœurs à Budapest, passant du russe au hongrois, et aussi à Düsseldorf, en allemand, de même pour la centième de cet opéra, à Coblence. Mais l’esprit de la langue ne se réinvente pas. C’est très différent de dire une chose en hongrois et en russe, en allemand et en russe. La version russe reste ouverte, elle ne termine rien, jamais.Trois sœurs en allemand devient dur, rigide, et perd toutes les choses illimitées qui le font. Je n’en suis pas satisfait. Je préfère garder la langue dans laquelle j’ai écrit mon opéra. Ma musique est toujours très attachée au texte. J’observe beaucoup le voyage des voyelles pour créer une mélodie. Alors, on perd ça aussi en traduisant. Trois sœurs en russe, c’est tellement mieux ! Die Tragödie des Teufels a été composé sur un poème allemand dont la fermeté est, précisément, la grande qualité. C’est fait pour, je dirais. Ce n’est pas la faute d’une langue ou d’une autre, bien sûr, c’est le problème de la traduction, tout simplement. Regardez l’opéra italien : c’est affreux si l’on change le texte, et c’est toujours bien en italien ! Le livret de Love and other Demons voyage dans trois langues : il y a l’espagnol pour l’univers intérieur du père Cayetano Delaura, la langue de l’amour, pourrait-en dire, d’un amour trouble, s’agissant de celui d’un prêtre pour une enfant pré-adolescente ; le yoruba par lequel communiquent les esclaves indiens des prêtres espagnols venus évangéliser la Colombie, tandis que les maîtres s’expriment en anglais. J’aurais dû dire quatre : n’oublions pas le latin de la messe ! La musique se déduit des radicales différences de ces langues, bien sûr.
Die Tragödie des Teufels eut sa première ici, à la Staatsoper de Munich…
Oui, c’était le 22 février de cette année. C’est un projet déjà ancien que Kent Nagano avait commandé pour Los Angeles où il était alors en poste, juste après Trois sœurs, il y a près de dix ans. Mais sa réalisation ne pouvant aboutir là-bas, Nagano l’a emmené dans sa valise lorsqu’il a pris ses fonctions à la Bayerische Staatsoper. Nikolaus Bachler, le directeur de la maison, a proposé de faire quelque chose à partir de La tragédie de l’homme de l’écrivain hongrois Imre Madách. Connaissant bien cette pièce du XIXe siècle, qui en soi est déjà difficile à réaliser sur une scène, je lui ai dit que ce n’était peut-être pas l’idée à retenir, mais qu’en l’actualisant par une réécriture, sans doute pourrait-elle faire un bon sujet d’opéra, en effet. J’ai alors proposé de confier le livret au Munichois Albert Ostermaier. Je connais son théâtre dont j’aime particulièrement la densité de la langue. Souhaitant composer ce nouvel opéra en allemand, il m’a semblé l’écrivain idéal. Nous nous sommes rencontrés pour travailler, Ostermaier et moi-même. Il a lu le texte original de Madách qui lui a plu, qu’il a jugé fort intéressant et estimé comme un bon départ pour faire quelque chose. Pour la première fois depuis que je compose des opéras, j’ai pu collaborer avec un écrivain ; ce n’est pas rien, vous savez ! Dans les précédents projets, c’est souvent ma femme qui écrivit l’adaptation. Ce fut le cas pour Tchekhov et Trois sœurs, par exemple, ou encore Angels in America de Tony Kushner. Le Balcon, c’était Françoise Morvan. Ce ne fut pas un travail facile, et j’ai dû bouger beaucoup de détails dès que je me suis mis à la partition. La musique pose des questions au texte, des questions simples de rythme, bien sûr, et d’autres plus complexes, car on n’est absolument pas dans la même logique lorsqu’on chante sur une scène et lorsqu’on y parle. Ostermaier m’a remis un texte plutôt poétique – de fait, il est d’abord un poète, selon moi – au langage passionant, fort, avec cependant quelques moments tellement compacts qu’ils en devenaient malaisés à comprendre dans le temps d’une représentation. Non lyrique, sa poésie n’induit pas le rythme de la musique. De ce point de vue, l’opéra s’est fait sur la confrontation plutôt que sur l’inspiration.
Votre opéra reste-t-il proche de la pièce d’origine ?
Oui et non. Dans la pièce, il y a trois personnages, en constant dialogue avec Dieu : Adam, Eve et Lucifer. Ici, nous en avons quatre : Adam, Eve, Lucifer et Lucy, en fait Lilith. Et Dieu n’est plus là, si ce n’est par l’invective qu’Adam lui adresse au tout début de l’opéra. Lilith, alias Lucy, est un démon féminin, pendant de Lucifer. Avoir introduit ce nouveau personnage change diamétralement la pièce de Madách. La relation entre Lucifer et Adam est une collaboration, mais entre Lilith et Lucifer, c’est un conflit. Lilith, autrefois chassée par Adam qui n’en voulait plus, revient. Mais Eve a pris sa place. D’où une rivalité entre les deux femmes. Lilith doit trouver moyen d’éliminer Eve. Elle y arrivera. C’est précisément pour cela que l’opéra ne s’appelle pas La tragédie de l’homme mais La tragédie du diable. Car pour finir, Lucifer perd tout, de son pouvoir sur Adam jusqu’à sa fonction même. Ostermaier et moi, nous avons travaillé à partir d’un ouvrage sur les mythes sumériens et babyloniens. Quant à elle, la Bible ne fait pas du tout mention de Lilith. C’est un personage interdit ! Les versions anciennes de la création du monde et d’Adam sont totalement différentes de celle de la Bible. Lorsqu’Adam est créé, la terre est déjà peuplée d’autres êtres humains, en fait. Il n’est pas le premier homme, mais seulement le premier à avoir été artificiellement créé. Dieu fait un premier Adam, mais il est beaucoup trop grand, alors il recommence en décidant de copier les proportions des hommes naturels. Adam est supérieur en tout. Les autres hommes ne voient pas plus loin que leurs moutons. Il n’a personne à qui parler, n’est-ce pas ? Aussi, depuis l’ennui de sa solitude, demande-t-il à Dieu de créer Lilith. D’ailleurs, les autres hommes protestent, ils ne veulent pas donner le sable nécessaire à Dieu pour livrer cette seconde créature artificielle. Après cet épisode, Lilith est finalement créée tout de même, et sur la même base qu’Adam. Ils ont la même fonction et, surtout, nul n’est inférieur à l’autre, ce qui me paraît vraiment très important. Losque Lilith quitte Adam, Eve est créée à son tour. Là encore, il y aura plusieurs essais. Cette Eve-là ne plaira pas à Adam, il faut recommencer. Finalement, il n’acceptera que la troisième version d’Eve, une version non artificiellement créée, cette fois, mais faite à partir d’une de ses propres côtes. Voilà le plus important : qu’Adam accepte une Eve faite de lui, ce qui induit une hiérarchie. Dans l’opéra, le fait que Lilith – femme libre, pourrait-on dire, égale de l’homme – élimine Eve, soumise à l’homme, invite à recommencer le monde sur d’autres bases, plus justes.
Cela induit également une toute autre dimension : celle de cet autre en lequel il ne serait pas donné de se reconnaître. Car enfin, en cette Eve née de sa côte, c’est toujours une partie de lui-même qu’il aime – de ce c’est lui-même qu’il aime, allons jusqu’à dire : c’estlui-l’aime.
Vous avez raison. Il n’y a pas que cet aspect de l’égalité entre les femmes et les hommes dans cette version de la création. C’est tout un rapport au monde qui se trouve bouleversé dès que l’on commence à réfléchir à ces choses.
Après la conception, il y eut la phase de réalisation. Comment cela s’est-il passé ?
Nous avons rencontré certaines difficultés, notemment entre le décor et la mise en scène. Le décor est une installation commandée aux Kabakov [photo suivante]. En tant qu’installation, c’est vraiment bien, ça fonctionne, c’est réellement intéressant. Il s’agit d’une sorte d’énorme ruine, un escalier d’une douzaine de mètres de haut. Cet escalier est complètement contradictoire avec le texte même de l’opéra, car il ne permet pas que les acteurs se disent certains passages de près. Par sa majesté il impose des distances à la pièce. Cette semaine, nous avons répété pour la reprise d’après-demain, dans le cadre de l’Opernsfestpiele. Grâce à ces six mois de recul, nous avons pu changer quelques détails de la mise en scène pour améliorer le spectacle. C’est le propre de l’opéra, au fond : le compositeur ne décide pas seul, l’œuvre est la rencontre de plusieurs influences et, surtout, de plusieurs personnes avec les contraintes de leur métier. Souvent, c’est au compositeur de s’adapter, parce que ceci ou cela ne peut pas changer, ce serait trop compliqué dans la production, par exemple. Au fond, ce n’est jamais négatif de rencontrer des difficultés. Cela permet d’apprendre.
Il est souvent arrivé que vous révisiez a posteriori vos œuvres pour le théâtre. Pensez-vous que ce sera le cas avec Die Tragödie des Teufels ?
Du coup, oui ! Maintenant, je vois très bien ce que je dois adapter, changer, bouger, refaire, pendant deux ans jusqu’à la création de la nouvelle version. Il m’apparait évident que certains passages de la partition ne fonctionnent pas du tout. Je vous donne rendez-vous à Genève, dans deux ou trois ans, pour la création de la nouvelle version – c’est un work in progress, si vous voulez. Mes opéras sont des êtres vivants. Ils naissent mais ne sont pas définitifs. Ils évoluent. Il faut donc que je les aide, que je les éduque, ou parfois même les opérer (rires) - moins radicalement les observer attentivement pour leur trouver un nouveau manteau ! Bref, toujours je les ai retravaillés jusqu’au moment où il m’a semblé qu’ils pouvaient vivre sans moi. Pour vous donner un exemple : j’ai écrit Angels in America comme un opéra entièrement amplifié, sonorisé. Etant amplifiées, quatre cordes me parurent suffisantes. Mais quand il fallut le rejouer, dans une configuration différente de celle de la première, le résultat n’était plus ce que j’avais souhaité. La qualité de la sonorisation n’était pas bonne du tout. Il se trouvait que j’avais à diriger ; du coup, je ne pouvais pas m’occuper des questions acoustiques. Si un autre chef s’était tenu au pupitre, j’aurais pu faire le son moi-même, mais là, ce n’était pas possible. Du coup, j’ai écrit une deuxième version pour orchestre de chambre, donc avec nettement plus de cordes. Les proportions ont complètement changé. Et cette année, en mars, on a fait une troisième version au Barbican Centre de Londres, pour grand effectif, le grand orchestre de la BBC. C’est complètement différent !
Avez-vous imaginé une configuration particulière pour l’orchestre de Die Tragödie des Teufels ?
Oui. Comme pour Trois sœurs, il y a deux orchestres, mais avec une fonction différente. Dans Trois sœurs, j’ai mis un petit ensemble de dix-huit musiciens dans la fosse. Je voulais une intimité entre les personnages et les instruments, un contact direct, en formant des couples chanteur-musicien – Olga-flûte, Irina-hautbois, Macha-clarinette, etc. Après avoir commencé à travailler en ce sens, je me suis rendu compte que, dans les moments nécessitant plus de masse sonore, cela ne suffisait pas. Avec dix-huit musiciens, toujours il manque le souffle. La masse, vous ne pouvez la faire qu’avec la masse (rires) ! Alors j’ai ajouté sur scène un second orchestre de cinquante musiciens, derrière le décor. Du coup, cela fonctionnait comme je voulais. Cette décision est donc survenue pendant le travail lui-même. Par contre, pour Die Tragödie des Teufels [lire notre chronique du 12 juillet 2010], dès le début j’avais décidé de laisser beaucoup de place au texte. Il me fallait donc donner la possibilité aux quatre protagonistes principaux de rester toujours très proches du public. La fosse de la Staatsoper de Munich est très ouverte, très grande. Le risque de couvrir les voix est ici omniprésent. Alors j’ai placé quelques petits instruments dans la fosse et tout le grand orchestre de quatre-vingt musiciens sur scène, surélevé, et au fond, de sorte que la sonorité la plus forte se trouvera toujours sensiblement réduite dans la salle par la distance. En fosse, donc, un petit ensemble : violon, alto, violoncelle, contrebasse, piano, harpe, accordéon, deux percussions + deux autres percussions de fosse qui ne jouent qu’avec le grand effectif de scène. Avec la diversité des instruments à percussion, la fosse est bien remplie, mais la sonorité reste claire, réduite, laissant toutes leurs possibilités expressives aux chanteurs. Du coup, on en revient à l’installation : dès qu’un chanteur monte dans l’escalier, l’équilibre si soigneusement obtenu se perd. Pendant une ou deux répétitions, je me suis placé dans la salle et c’est mon assistant qui a dirigé ; j’ai pu mieux me rendre compte qu’il y avait des choses intéressantes dans le résultat accoustique, des choses qui ne demandent qu’à être développées plus tard.
Ce déplacement de l’orchestre, c’est une particularité que partagent tous vos opéras, je crois...
Oui, je fais cela avec autant de plaisir que de facilité, je dois dire (rires) ! Les musiciens s’y retrouvent sans problème et ma propre expérience de chef me suggère beaucoup de chose. Vous savez, concrètement, ce n’est pas bien compliqué : il y a deux caméras et des moniteurs qui permettent aux deux chefs de communiquer, voilà tout. C’est une écriture qui a ses propres exigences, bien sûr. Mais attention, ce jeu avec la place de l’orchestre n’est pas non plus un modèle, un système, une sorte de Stempel Eötvös, non (rires) ! D’ailleurs, ce n’est jamais la même configuration. Tout dépend du texte, de l’histoire, de beaucoup d’influences et de paramètres. Par exemple : dans Lady Sarashina [lire notre chronique du 11 mars 2008], j’ai placé trois clarinettes dans la salle qui amènent l’écoute dans le rêve, surtout lorsqu’elles ne se fondent pas dans un tutti, qu’elles jouent seules. Parce qu’il vient d’ailleurs, parce qu’il est d’une seule nature (trois instruments identiques), ce son surprend et change l’espace. En revanche, je n’aime pas beaucoup utiliser les haut-parleurs ; la qualité sonore du résultat ne m’a jamais convaincu. Au théâtre, c’est important que soient présents les gens qui produisent le son, qu’il soit parole dite ou chantée, n’est-ce pas ? Je préfère favoriser les instruments en live. Pour chacun de mes opéras, une raison différente motive la configuration de mon orchestre. Au théâtre, si l’on déplace un acteur sans nécessité, on perd toute logique. Souvent l’on peut voir des déplacements pour l’effet, mais sans véritable logique.
Au festival strasbourgeois Musica vous dirigerez votre Atlantis. Il s’agira de la création française de la nouvelle version, n’est-ce pas ?
Oh, c’est une toute petite révision, vous verrez ! Depuis la création de cette œuvre, je sais qu’il y manque une partie pour les solistes (cymbalum et baryton). Bien sûr, il y a aussi l’enfant, mais il a déjà beaucoup à faire dans la pièce, tandis que le baryton et le cymbalum n’avaient rien en solo. Alors, j’ai écrit un petit duetto pour eux, sans le tutti. Cette idée m’habite depuis longtemps, mais en quinze ans, je viens seulement de trouver une semaine pour l’écrire. Plutôt que créée, cette nouvelle partie d’environ trois minutes sera ajoutée en public, à Strasbourg. Elle prend la place d’une brève séquence de trois mesures que jouaient les castagnettes dans la version originale. Le baryton et le cymbalum seront légèrement accompagnés par les percussions et deux harpes. Il serait abusif de parler d’une nouvelle version : oui, un nouveau passage survient dans la partition, mais Atlantis ne s’en trouve pas fondamentalement changé.
En projet ?
Une œuvre ouverte, avec l’ensemble Modern. Un opéra de poche, dans la lignée de Schwarz und weiss que cet ensemble a fait avec Heiner Goebbels. Il y a toute une série de projets de cette nature. La production sera accueillie par l’Opéra de Francfort, en 2013. Nous avons choisi quatre acteurs-chanteurs. Il y aura une semaine de travail pour expérimenter cette forme, cette façon de faire un peu spéciale. Car ce sera un work in progress total, cette fois : il y a un sujet, mais pas de texte écrit, pas de musique. Tous les participants vont donc travailler avec le metteur en scène et de là sortira ou non quelque chose de montrable. C’est pour cette raison qu’il faut une première semaine d’expérimentation. S’il semble que le projet ainsi conçu ne puisse pas fonctionner, nous arrêterons tout de suite – s’obstiner serait une inutile perte de temps et d’argent. Mais s’il paraît réalisable, nous aurons ensuite six semaines de travail pour le monter. À l’issue de ces six semaines, nous le fixerons dans chacun de ses éléments. Ce qui sera présenté au public ne sera donc pas une improvisation. Cette technique de construction d’un spectacle, on la croise de temps à autre dans le domaine du théâtre. En musique, c’est ce que l’on fait dans le jazz. Les chorégraphes le font souvent : on essaie, on regarde, on mesure, on jette ceci, on garde cela, et ainsi de suite jusqu’à ce la pièce existe.