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Chroniques
Péter Eötvös
As I crossed a bridge of dreams – Mese
Dix ans après la création de Три сестры (Trois sœurs, 1998) [lire notre critique du CD et notre chronique du 24 mars 2012], l’Opéra national de Lyon commande à Péter Eötvös un nouvel ouvrage lyrique, présenté le 4 mars 2008. Il s’agit de Lady Sarashina, opéra en neuf tableaux largement introspectifs, prévu « pour toucher des gens qui aiment se relaxer dans l’esprit de la philosophie zen » – comme le rapporte Aurore Rivals dans un entretien avec le créateur [lire notre critique de l’ouvrage]. En effet, le rôle-titre se livre à évoquer le souvenir des fleurs passées (Printemps), l’enlèvement d’une jeune princesse (Le garde), l’absence de son père (Pèlerinages), la contemplation solitaire de l’astre de la nuit (La lune), mais aussi des visions troublantes (Le rêve au chat, Le rêve au miroir).
Pour mieux connaître celle qu’incarnait Mireille Delunsch [lire notre chronique du 11 mars 2008], revenons au XIe siècle, époque où une femme arrivée trop tard à la cour pour faire carrière s’y marie à un âge avancé, et poursuit l’écriture d’un journal dans la région de Sarashina, au cœur des montagnes du centre du Japon. Commencé à l’âge de douze ans, achevé passé la cinquantaine, il rassemble les sujets habituels et familiers de ce genre littéraire : récits de voyages, notes de lecture, motifs de résignation et de chagrin, soliloques sur la vie et la mort (elle perd une sœur, puis un époux), etc. « Ce texte a mille ans, constate Eötvös, mais on y trouve des éléments qui sont absolument actuels ».
Parvenu à la postérité, le Sarashina nikki (mot à mot, nikki signifie rapport quotidien) est traduit en anglais par Ivan Morris, puis publié sous le titre As I crossed a bridge of dreams (Tandis que je traversais un pont de rêves). Avant même que Mari Mezei, déjà librettiste d’Angels in America (2004), adoptât cette traduction pour concevoir le cinquième opéra d’Eötvös, elle en avait déjà emprunté le contenu (et le titre) pour une œuvre de « théâtre sonore » (Klangtheater), créé le 16 octobre 1999 aux Donaueschinger Musiktage.
Interprétée alors par Claire Bloom, Sarashina l’est aujourd'hui par Elizabeth Laurence, récitante entourée de trois « dream-voices » – Blythe Holcomb, Nadia Hardman, David Hill – et d’un ensemble instrumental qui met en avant le trombone (alto et trombone-contrebasse) – instrument souhaité par le commanditaire, que jouent ici Mike Svoboda et Gérard Buquet. Elle campe l’héroïne d’une voix tantôt ensommeillée et lancinante, tantôt affermie par l’émerveillement. Favorisant tout d’abord un halo électronique (temps réel, sons fixés sur support, spatialisation, échantillonneur, etc.), l’œuvre ne cache rien de son minimalisme instrumental, couronné par la nudité d’un piano solitaire dans l’ultime portion.
Dirigé par Gergely Vajda à la tête de l’Ensemble UMZE, As I crossed a bridge of dream ne manque pas d’humour, de même que Mese (Conte, 1968). Plusieurs fois enregistrée (Hungaroton, BMC), on connait bien cette Sprachkomposition fondée sur une sélection de contes folkloriques hongrois, dont « les mots sont devenus musique » et que porte l’actrice Piroska Molnár – croisée depuis dans Taxidermia (2006), le film de György Pálfi. Un DVD bonus propose les deux œuvres en différentes versions audio originales (PCM stereo, Dolby Digital 5.1, DTS 5.1), permettant d’approcher au plus près l’univers eötvösien.
LB