Recherche
Chroniques
Pascal Dusapin
musique de chambre
S’il rechigne à parler de sa musique, comme l’a rappelé récemment Olga Garbuz dans une brillante étude [lire notre critique de l’ouvrage], Pascal Dusapin (né en 1955) a quand même livré quelques pistes sur son élaboration. Par exemple, on sait que le doute et la négation aident ce défricheur, toujours en quête de synthèse du monde artistique (littérature, architecture, cinéma, photographie, etc.), à inventer ses propres style et logique, à l’instar de Franco Donatoni – un fonctionnement qui le mène à d’incessantes remises en question, précise-t-il : « quand j’invente un système, je l’oublie, je pense à l’œuvre suivante, et le précédent ne m’intéresse plus. Je préfère toujours parler du présent, même de l’avenir, mais pas du passé, je suis même phobique de ça ».
De fait, on doute que le créateur de Faustus, the last night [lire notre chronique du 16 novembre 2006] regarde d’un œil attendri ce florilège d’une dizaine de pièces conçues dans les dernières années du XXe siècle, sauf à considérer le talent de ses interprètes, Arne Deforce et Benjamin Dieltjens. Compositeur occasionnel [lire notre critique du CD], le violoncelliste assure la plus grande partie du programme, fasciné par « l’énergie effrénée qui irradie de [cette] musique, l’intensité compacte et radicale des structures sonores et la forme claire, dans laquelle se déploie une expressivité singulière ».
Incisa (1982) séduit d’emblée par un lyrisme volubile, jovial mais grinçant, à l’image de la prose beckettienne qu’admire tant Dusapin. Longtemps réputé injouable, Item (1985) démarre avec frénésie, mais sans qu’un réel climat ne s’impose durant son premier tiers. Il s’achève dans l’indolence. Sombre mais sans noirceur, Invece (1992) inspire presque la pitié tant le cahotement puis le piétinement suggèrent l’hésitation, l’empêchement. Rien à voir avec le sensuel Immer (1996) qui déroule une sinuosité orientale sur ses deux mouvements extérieurs, tandis que son cœur offre un sentiment de mystère à l’aide de longues phrases désolées, d’harmoniques sifflantes et cristallines. Enfin, miniature délicate et soyeuse, Iota (1996) préfigure Imago (2001), « trois pièces sur de (faux) chants populaires », fort mélancoliques et un brin nostalgiques.
Défenseur de son temps au sein de plusieurs formations (Het Collectief, Ictus), Benjamin Dieltjens offre à son tour deux soli pour son instrument. If (1984), que Dusapin a souhaité « brisé, éclaté », notamment par l’exploration des registres extrêmes de la clarinette, affirme une expressivité largement conviviale menant à un finale plus intimiste. Approchant les vingt minutes, Ipso (1994) démarre dans cette intériorité, marquée par des interrogations, des inquiétudes. À mi-chemin, la pièce se radicalise, dépouillée et méditative – encouragée à « dériver vers une abstraction », pour reprendre les mots de son auteur.
Il reste à évoquer deux duos. Dans Laps (1987), mémorable par son seuil presque électro, la clarinette hésite entre quiétude et tension, longtemps solitaire, avant d’être rejointe par la plainte des cordes. Ces dernières s’animent rapidement, d’une révolte sans fureur. Pour sa part, Ohé (1996) s’ouvre sur les deux instruments qui cheminent côte à côte, dans la joie, explorant une nouvelle fois, de façon explicite, le potentiel compositionnel non occidental – celui d’Arabie, en l’occurrence.
LB