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Chroniques
Patrick Barbier
Marie-Antoinette et la musique
Assurément, Patrick Barbier conjugue un séduisant talent de conteur à la saine rigueur scientifique dans cet ouvrage sur lequel jamais assez l’on ne tarira d’éloges ! Passionné d’opéra, mais encore d’Italie, l’historien français, professeur émérite de l’Université catholique de l’Ouest (Angers), met sa plume au service de la connaissance de la musique comme de celle de la culture italienne, parfois au prisme de la française, au fil de nombreuses publications que l’on pourrait classer en deux périodes d’inspiration : le temps baroque et le temps romantique. Au second de ces chapitres, il faut compter À l’Opéra au temps de Balzac et Rossini (Hachette, 2003), La Malibran (Pygmalion, 2005), et Gaspare Spontini (Bleu nuit, 2017), où fait plus que se dessiner l’intérêt de l’auteur pour l’influence des artistes de la Botte dans notre paysage musical au XIXe siècle. En amont, le lecteur gagnera à se plonger dans Histoire des castrats (1989), Farinelli, le castrat des Lumières (1995) – Barbier préside d’ailleurs le Centro Studi Farinelli de Bologne –, La maison des Italiens : les Castrats à Versailles (1999), La Venise de Vivaldi (2002), Jean-Baptiste Pergolèse (2003), Naples en fête : théâtre, musique et castrats au XVIIIe siècle (2012) et Voyage dans la Rome baroque (2016), tous édités par Grasset à l’exception de la brève biographie de Pergolèse parue chez Fayard, Pour l’amour du baroque (2019) introspectant plutôt ses propres inclinations. Sur cette grande route, il manquait une halte d’importance qui interroge l’action de l’ultime reine de France sur la vie musicale au crépuscule de la monarchie.
Peu furent (et sont encore aujourd’hui) indifférents au destin comme au personnage de la princesse viennoise Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine. Dauphine de France en 1770 en épousant le petit-fils de Louis XV, la dernière fille de l’empereur François I et de Marie-Thérèse d’Autriche devint reine à l’avènement de Louis XVI, couronné à Reims le 11 juin 1775. Si l’on connait le rôle politique qu’elle endossa, on en sait nettement moins sur son investissement de la musique. Jouant elle-même le pianoforte et la harpe, s’exerçant volontiers à l’art lyrique mais encore compositrice à ses heures, sans se prétendre toutefois plus que l’heureuse dilettante qu’elle fut, Marie-Antoinette s’est activement engagée dans la défense des arts en protégeant interprètes, compositeurs et facteurs d’instruments, comme en encourageant le spectacle sur les scènes bellifontaine, versaillaise et parisienne, sans oublier qu’elle fut à l’origine de la création, de loin en loin, de notre CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse).
En huit grandes parties dûment renseignées et détaillées, tant sur les plans esthétique, politique et mondain, Patrick Barbier brosse son sujet avec un panache bien à lui. Ainsi invite-t-il le lecteur à Schönbrunn où grandit celle qu’on surnommait l’Antoine, fort bonne élève quant à la langue italienne que lui enseigne le fameux librettiste Métastase, sans qu’il soit sûr que Gluck ait été son maître de clavecin, comme le veut la légende. Après un voyage qui fit l’objet de maints commentaires, la voici à Versailles où découvrir un dauphin plus que gauche qui ne lui ressemble en rien et semble presque la craindre. Avec les festivités fastueuses en l’honneur de ses noces, la jeune femme prend connaissance du relatif encroûtement de la musique française à ce moment-là, situation qu’elle combat dès qu’elle le peut.
Les intrigues de cour, le jeu des influences, des favorites des uns et de celles des autres, nous sont soigneusement contés, dans une verve volontiers souriante. Le 10 mai 1774, les adolescents Louis-Auguste (dix-neuf ans) et Marie-Antoinette (dix-huit ans) deviennent les nouveaux souverains français. Modeste Grétry est alors le maître de musique de la reine. L’auteur présente les Concerts de la Reine, le Concert Spirituel et le Concert de La Loge, pour la musique instrumentale, mais encore les activités de l’Académie royale de musique, de la Comédie-Italienne et de la Comédie-Française, dépeignant un quart de siècle de création, jusqu’aux grondements révolutionnaires. Ce faisant, il introduit son lecteur auprès de Gluck, bien sûr, mais aussi de Piccinni, Sacchini, Paisiello et beaucoup d’autres compositeurs, sans oublier le virtuose devant lequel se pâment les dames, Joseph Bologne de Saint-George, lamentablement écarté de la direction de l’Opéra par son origine guadeloupéenne.
On n’en finirait pas de raconter ce livre ! Plus sage sera de s’abstenir et de le vivement conseiller. Le regard qu’il pose sur les aléas de la Révolution, sur les changements de considération de ses acteurs pour les souverains et celle qu’ils appellent désormais L’Autrichienne transmet une émotion certaine, au plus fort de ce qui fut, n’en doutons pourtant pas, un désastre nécessaire. Marie-Antoinette et la musique se lit comme une épopée : ne vous en privez pas !
BB