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Chroniques
Paul Ben-Haim
musiques pour cordes
Dix ans après le fort bel album que lui consacrait l’ARC Ensemble (sous label Chandos) que notre équipe avait salué d’un A! bien mérité [lire notre critique], nous retrouvons la musique de Paul Ben-Haim. Né Paul Frankenburger en 1897 à Munich, le compositeur, à l’instar d’un Kurt Weill et de tant d’autres, quitté d’urgence une Allemagne déjà trop vertigineusement brune en 1933, s’installant tôt en Palestine où il change son nom. Marqué par la montée du nazisme, son avènement et l’application de son programme d’épouvante qu’il avait fui à temps, encore le fut-il par l’effondrement de cette Allemagne-là et sa double capitulation (le 7 mai 1945 à Reims et à Berlin le lendemain), par la révélation qui s’ensuivit, au monde entier, de l’ignominie de l’Endlösung der Judenfrage – solution finale à la question Juifs, soit leur extermination systématique –, enfin par la création de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, porteuse d’espoir.
Parmi les opus réunis par la Bayerische Kammerphilharmonie (Philharmonie de Chambre Bavaroise) sur ce CD figure le Quintette pour clarinette et quatuor à cordes Op.31 de 1941, apprécié dans celui de l’ARC, ici dans un arrangement de 1945 (révisé en 1962) pour clarinette, harpe et orchestre à cordes intitulé Pastorale Variée et répertorié comme opus 31b. Bettina Aust et Christine Steinbrecher en servent remarquablement les sept sections où le musicien s’est volontiers inspiré de thèmes juifs qu’il intégra de savante façon à la tradition occidentale, tentant ainsi une synthèse entre plusieurs influences, y compris par des allusions à la musique arabe qu’il avait découverte à son arrivée au Moyen Orient. Au mystère lyrique de la première variation succède une danse élégamment chantournée, une berceuse énigmatique et tendre, le généreux entrelacs, plus développé, de la quatrième variation où l’on admire la suavité des cordes augsbourgeoises. La volubilité de la clarinette mène la suivante, primesautière et dansante, quand le vaste Épilogue redessine tout le paysage de l’œuvre, fort bien servi.
Cette page est la plus ancienne du CD qui se concentre exclusivement sur la décennie suivant la fin de la guerre, alors que Ben-Haim anime considérablement la vie musical du pays en tant que professeur et chef d’orchestre, comme avec ses nouvelles œuvres, influençant toute une génération d’artistes israéliens. En 1947, il livre son opus 40, soit un Concerto for Strings qui puise dans le motif caractéristique de Joram, grand oratorio (pour soprano, ténor, baryton, basse, chœur et orchestre) inspiré par Rudolf Borchardt et achevé en 1933, juste avant le départ. Ce motif deviendra, au fil du temps, une sorte de carte de visite dans l’œuvre de Ben-Haim qui d’ailleurs prénommera son fils de ce nom royal. Sous l’impulsion de Gabriel Adorján, qui dirige de l’archet, la tonicité de la Bayerische Kammerphilharmonie magnifie le Preambolo. Le néoclassicisme de la facture invite une couleur orientale à enrichir le Capriccio. L’Intermezzo lirico conjugue des trésors de douceur, puis le Finale avance une marche drue.
Née à Jérusalem, Talia Or grandit dès l’âge de quatre ans à Aix-La-Chapelle où sa mère est choriste et où son père enseigne à la synagogue. Elle étudiera dans cette ville, puis à Hambourg où elle fera ses premières apparitions sur une scène d’opéra. Sa carrière d’artiste lyrique gagne bientôt tout le continent [lire nos chroniques de La passagère et d’Avodath Hakodesh]. Actuellement professeure de chant à la Musikhochschule de Munich, elle prête un soprano puissant et chaleureux aux Three Songs Without Words qui témoignent de la collaboration précieuse du compositeur avec Bracha Tzfira, la célèbre chanteuse zemer ivri (זמר עברי). C’est par elle que Ben-Haim eut accès au folklore yéménite, juif et arabe, présent dans plusieurs de ses œuvres. Ces Trois airs sans paroles de 1952, pour voix et douze instruments à cordes, offrent une émouvante plongée dans un temps pionnier, celui d’Israël en quête d’identité culturelle tel que vécu et si bien raconté par Appelfeld dans Histoire d’un vie (ספור חיים). À la tristesse languide de l’Arioso font suite une Ballade inquiète puis la majestueuse Mélodie sépharade.
Les cinq mouvements, calqués sur la forme baroque, de la Music for Strings (1956), proche en cela du Concerto pour cordes, son aîné de neuf ans, s’ouvrent par une âpre Mélodie dont surprend le farouche unisson, puisé dans le motif-Joram de 1933 évoqué plus haut. Le caractère général de l’œuvre ne quitte pas cette énergique sévérité, évidente dans le Canon fugué. A contrario, un climat presque édénique traverse la Sérénade, clairement orientale et contrepointée avec grâce. L’amble confortable de l’Aria place le quatrième épisode dans une introspection douloureuse, joyeusement contrarié par la vigueur contagieuse du Finale, somptueusement défendue par les chambristes bavarois, couronnant une lecture de toute beauté par une citation du concerto.
BB