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Chroniques
Paul Ben-Haim
musique de chambre
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, l’ARC Ensemble (Artists of The Royal Conservatory) sillonne de salles en studios d’enregistrement, jouant le répertoire classique mais surtout des raretés qu’il fait redécouvrir de par le monde. Ainsi est-il l’instigateur d’une série de concerts intitulée Musique en exil, donnée à Toronto, sa ville d’origine (les membres d’ARC sont issus de la Glenn Gould School du Toronto Conservatory), mais aussi à New York, Tel Aviv, Budapest et Londres ; le programme puisait aux catalogues des compositeurs qui s’exilèrent dans les années trente, qu’il s’agisse du Rhénan Robert Kahn (1865-1951), exclu de l’Akademie der Künste de Berlin en 1934 et réfugié en Angleterre quatre ans plus tard, du violoniste Adolf Busch (1891-1952) émigré en Suisse à partir de 1927 puis, définitivement, aux USA en 1938, du Polonais Szymon Laks (1901-1983), quittant dès 1929 Vienne pour Paris d’où il fut déporté à Auschwitz à l’été 1942, du Hongrois Mátyás Seiber (1905-1960), élève de Kodály installé en Angleterre en 1934, ou du Bavarois Franz Reizenstein (1911-1968) qui fuyait Berlin en 1934, mais encore de Walter Braunfels (1882-1954) qui, sans quitter le pays natal, dut s’écarter de la vie culturelle durant les années brunes [lire notre chronique du 1er août 2013 et notre critique du CD], et de Mikhaïl Gnessine (1883-1957) dont l’œuvre fut littéralement niée à partir de la destruction de la Société pour la musique juive par le décret soviétique d’avril 1932 – sur ces sujets, on lira Le destin russe et la musique de Frans Lemaire [lire notre critique de l’ouvrage].
Après avoir gravé le Sextuor en sol majeur Op.40 de Busch et le Quintette en fa # mineur Op.63 de Braunfels, réunis sous le titre Les chemins de l’exil (RCA Red Seal 8697-64490-2), puis un disque entièrement consacré à Mieczysław Weinberg – Sonate pour clarinette et piano Op.28, Quintette pour piano et quatuor à cordes Op.28 et Chansons juives d’après Shmuel Halkin Op.17 (RCA Red Seal 2876-87769-2) – qui, rescapé de l’invasion allemande de Varsovie en 1939, vécut d’abord en Biélorussie puis en Ouzbékistan, lorsqu’en juin 1941 le front progressa vers l’Est, pour finalement connaître la prison soviétique jusqu’à la mort du Отец народов, en 1953 [lire nos chroniques du 27 juin 2013 et du 8 janvier 2011, ainsi que nos critique DVD et CD], l’ARC Ensemble se penche avec une passion sans faille sur cinq opus de Paul Ben-Haim.
Né à Munich en juillet 1897, Paul Frankenburger connut, comme tous ceux de sa génération, le chaos de la première moitié du XXe siècle. Ainsi dut-il interrompre ses études à l’Akademie der Tonkunst pour rejoindre le front, lors de la Grande Guerre dont « il échappe de justesse lors d’une attaque au gaz, mais son frère Karl fut tué à Verdun », précise la notice de Simon Wynberg. Il reprit ensuite ses études, puis fut engagé à la Bayerische Staatsoper où travailler sous la direction de Bruno Walter puis d’Ans Knappertsbusch. À partir de 1924, il occupe un poste d’assistant à l’Opernhaus d’Augsbourg. Le scrutin du 5 mars 1933 allait une nouvelle fois faire dévier sa route (faut-il rappeler que la première pierre du camp de Dachau fut posée à peine seize jours plus tard ?) ; en ce même mois était créé à Chemnitz son Concerto grosso de 1931… En mai, Paul Frankenburger débarque une première fois en Palestine. Il s’y installe définitivement dès octobre, hébraïsant bientôt son nom en Paul Ben-Haim (fils d’Haim : le prénom de son père, en effet).
Laissons à la notice le soin d’informer plus notre lecteur que, en saluant ce bel enregistrement d’Anaclase! plus que méritée, nous invitons chaudement à découvrir le parcours de Ben-Haim à travers cette vue d’ensemble très cohérente sur les évolutions de sa facture compositionnelle. Ainsi commence-t-on par le Quatuor avec piano en ut mineur Op.4 (1921), héritier d’un romantisme tardif lové dans une courbure Jugendstil aux accents parfois mahlériens. Dix-huit ans plus tard, les Paysages pour alto et piano Op.27 révèlent une approche nouvelle, inspirée des mélodies du « nouveau monde » où vit le compositeur. Contemporaine, Improvisation et danse pour violon et piano Op.30 investissent l’écoute d’une mélancolie hésitante. Le grand Quintette pour clarinette et quatuor à cordes Op.31a de 1941 fut révisé en 1965, une vingtaine d’années avant la disparition du compositeur. On y entend les procédés utilisés dans ses Paysages mariés à la veine lyrique des premiers temps. Au piano, Dianne Werner livre la Canzonetta de 1944, si tendre.
BB