Chroniques

par hervé könig

Paul Dukas
intégrale pour piano

1 CD Naxos (2003)
8.557053
Paul Dukas | intégrale pour piano

Paul Dukas (1865-1935) avait la réputation d'être lent à composer. Un manque de confiance en soi explique sans doute ce côté perfectionniste qui lui fit passer, par exemple, plus de sept années sur son opéra Ariane et Barbe Bleue, inspiré de Maeterlinck. De fait, son œuvre pour piano seul est proportionnelle au maigre catalogue qu'il nous laisse : quatre pièces seulement, que grave ici Chantal Stigliani, élève d'Yvonne Lefébure qui lui transmit son art acquis auprès des contemporains qu'étaient pour elle Ravel, Fauré et Dukas lui-même.

Ce disque s'ouvre avec la Grande Sonate en mi bémol mineur, occupant à elle seule presque trois quarts d'heure. Écrite en 1900 et créée le 10 mai 1901 par Edouard Risler, elle est dédiée à Camille Saint-Saëns de l'œuvre salonarde duquel elle se différencie nettement. Même si nous y relevons des influences romantiques (Beethoven, Liszt, Franck...) – traces de cette lourde filiation germanique de la musique française d'alors qui a tant de mal à affirmer une identité – c'est bien le goût de Dukas pour l'esthétique classique qui y domine. Le premier mouvement, Modérément vite, oscille entre anxiété et sérénité tandis que le deuxième, Calme - un peu lent - très soutenu, fait place à un lyrisme qui se déploie progressivement. Le troisième, Vivement, avec légèreté, est un scherzo à deux thèmes. Enfin, le quatrième clôt la sonate avec fulgurance, malgré un début indiqué très lent. Chantal Stigliani présente cette page avec une majesté impressionnante, travaillant sa sonorité tout en ne perdant jamais de vue l'architecture de l'œuvre.

Autre œuvre créée par Risler, le triptyque Variations, Interlude et Finale sur un thème de Rameau (1902) développe onze variations, mélodiques pour les sept premières, animées pour les suivantes, à partir d'un thème simple et bref emprunté au grand maître baroque. Dans cette pièce, on percevra un chemin partant des Diabelli de Beethoven, traversant la Sonate qui précède, et menant vers Albert Roussel. Si la pianiste rendait compte de l'écriture orchestrale de la Sonate, elle tisse ici une toile subtile sur laquelle Matisse vient peu à peu recouvrir Watteau.

Respectueux des classiques, ne cessant d'en parfaire l'étude, Paul Dukas admirait avec ferveur l'œuvre de Joseph Haydn : c'est sur les lettres de son nom qu'il composa, en 1909, le Prélude élégiaque, à l'occasion du centenaire de la mort du musicien autrichien. C'est un hommage calme et tendre à ce maître que Dukas considérait comme un « génie » et un « cœur pur ». Enfin, La Plainte, au loin, du faune (1920), est un écho et un hommage sombre et douloureux à la musique de Claude Debussy, disparu quelques années plus tôt. Cette pièce vient ici s'intercaler entre la Sonate et les Variations, créant un effet de surprise tant elle se démarque par sa facture des deux aînées. On écoutera cet enregistrement très soigneux avec beaucoup de plaisir, d'autant que ces œuvres restent des raretés, tant au disque qu'au concert.

HK