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Riches et variées, les publications du Centre de musique romantique française (Palazzetto Bru Zane, Venise) se multiplient à travers plusieurs collections suivies, reflets des nombreuses recherches qu’effectue son équipe de musicologues et d’historiens. Ainsi, outre des ouvrages sur les compositeurs [lire notre critique de Reynaldo Hahn, un éclectique en musique], des thématiques [Le surnaturel sur la scène lyrique], des écrits de musiciens [Les Grotesques de la musique et Mémoires d’Hector Berlioz] ou des correspondances du temps [Camille Saint-Saëns avec Jacques Rouché, Lettres de Charles Gounod à Pauline Viardot, Lettres d’Henri Duparc à Jean Cras], plus d’une cinquantaine de partitions éditées par ses soins offre aux interprètes de découvrir et de faire découvrir des œuvres rares du répertoire de la période choisie (un XIXe siècle élargi : de 1789 à 1918, environ), partitions qui viennent alimenter ses parutions discographiques.

Parallèlement aux CD coproduits avec différents labels [dont Lodoïska de Luigi Cherubini, Trios de Théodore Gouvy, Pots-pourris d’Ernest Alder, Trios avec piano de Camille Saint-Saëns, Mélodies de Benjamin Godard, Quatuors d’Antonín Reicha, Le désert de Félicien David, Mélodies avec orchestre de Saint-Saëns, etc.], le Palazzetto Bru Zane (PBZ) édite trois collections de livres-disques. Parmi celles-ci, Prix de Rome s’emploie à explorer ce que composé pour cette distinction fort convoitée, reflet de l’histoire de la musique française entre 1803 et 1968. Après un premier volume en 2009, consacré à Claude Debussy [lire notre critique], les suivants se penchèrent sur Saint-Saëns (2010), Gustave Charpentier (2011) et Max d’Ollone (2013). Alors que les trois premiers parurent chez Glossa, le quatrième fut confié aux Ediciones Singulares, de même que le nouveau, qui s’attèle à Paul Dukas.

Selon la formule désormais consacrée, ce tome réunit plusieurs documents qui accompagnent activement l’écoute des œuvres gravées. Après un bref rappel historique sur la Villa Médicis (Académie de France à Rome), il s’ouvre sur une notice autobiographique écrite au printemps 1899. Le parcours qui s’y dessine s’arrête sur les tentatives de Dukas au prestigieux concours qui l’a systématiquement recalé. L’itinéraire du musicien est approfondi par un texte d’Alexandre Dratwicki (directeur scientifique du PBZ), Paul Dukas inconnu. Les échecs romains y sont précisés, ainsi qu’une définition du style, tendu entre l’opéra Ariane et Barbe-Bleue (1907) et le poème dansé La Péri (1912) depuis L’apprenti sorcier (1897), le fameux poème symphonique. Non sans quelque envie de se replonger dans la somme biographique réalisée par Simon-Pierre Perret et Marie-Laure Ragot il y a une dizaine d’années [lire notre critique de l’ouvrage], suivons avec l’auteur la chronologie des œuvres de concours. À commencer par Pensée des morts (1886) pour ténor, chœur mixte et orchestre, sur un poème de Lamartine. Plutôt que le noir tombeau, la musique va son chemin dans une paix confiante. La diction exemplaire de Cyrille Dubois et la fraîcheur étonnante de son timbre sont idéales, malgré un aigu parfois cru, dans les phrases longues. Signalons un trait de violon de toute beauté.

Au retour de son premier pèlerinage franconien sur la colline wagnérienne dont le théâtre ne compte alors que dix ans, Dukas tente à nouveau sa chance à Rome. Le texte imposé est, cette fois, La fêtes des myrtes de Toubin, littérateur aujourd’hui sainement oublié. La clarté lumineuse du même ténor contribue à donner du relief à cette page de 1887 relativement pompière qui peine à élever son inspiration. Le mezzo-soprano convainc moins. L’année suivante, l’institution retient Hymne au soleil, extrait de La paria, tragédie de Delavigne (1821). L’on y goute un charmant passage de harpe, Dubois se montrant moins à son avantage dans cette page. En juin 1888, Dukas se concentre un mois durant sur un texte de Beissier qui propulse l’imagination en pays de druides sous occupation romaine. Velléda se teinte d’influence wagnérienne, même si l’orage pourrait venir de Berlioz. Adieu, pompe superfétatoire : le prélude demeure secret. L’écoute révèle une facture nettement plus raffinée et une personnalité artistique subtile. Frédéric Antoun prête un ténor robuste au rôle d’Eudore, tandis que le soprano rond, facile et coloré de Marianne Fiset incarne la jeune gauloise Velléda. Amour et politique s’emmêlent : la vieille recette dramatique marche encore. La prosodie de Dukas paraît tout de même assez maladroite. Saluons le chant sûr et le timbre fier d’Andrew Foster-Williams en Ségenax, la voix portant le caractère farouche du personnage. Quoiqu’un brin caricatural, le trio de l’anathème fait son effet.

Retenue pour le deuxième tour, la cantate n’emporte toujours pas le prix – une contribution de Pierre Sérié s’attache tout spécialement à ce sujet. Le jeune homme se représente l’année suivante. Alors que le wagnérisme est encore mal vu, le concours choisir un poème de Charles Grandmougin qui avait publié quinze ans plus tôt une étude sur Wagner (alors en vie). Avec Les sirènes, Dukas invente un chatoiement enchanté à partir d’une ritournelle. L’écriture chorale est complexe. Sous la direction d’Hervé Niquet, l’emportement lyrique du Brussels Philharmonic séduit. Le docte jury resta pourtant de marbre en découvrant la partition. Jules Adenis, dramaturge qui signa le livret de La jolie fille de Perth de Bizet, entre autres, donna naissance à deux garçons qui s’associèrent dans ce même métier. Eugène et Édouard écrivirent celui de Sémélé, cantate dramatique fort bien ficelée, à partir du célèbre mythe. L’œuvre de Paul Dukas est assurément le fleuron de ce livre-disque. Elle témoigne d’un grand sens du théâtre, tant dans la conduite des airs que dans l’orchestration, très expressive. Elle bénéficie d’une distribution vocale de grande tenue. Kate Aldrich est impérative en Junon. La jalousie gagne un impact évident dans l’air de la vengeance, secondé par un orchestre fougueux. La Sémélé de Catherine Hunold possède une douceur irrésistible, construite sur un grave présent et un style qui s’inscrit dans la tradition du chant français. Le timbre élégant de Tassis Christoyannis, sa diction incomparable, enfin la présence de cette voix campent un Jupiter magnifique. Passionnant, Sémélé révèle un tissus wagnérien omniprésent, avec son orage (Die Walküre), le scintillement de la nuit, le violoncelle désarmant qui précède la formulation du défi, la tempête (Der fliegende Holländer), enfin son extinction si typique du maître allemand.

Décidément, d’année en année le jury romain n’a que faire de cette musique. Dukas l’a bien compris et se résigne à avancer sans lui. Il a vingt-six ans en 1891 et se remet à l’ouvrage avec une ouverture pour Polyeucte, la tragédie de Corneille. Alexandre Dratwicki fait remarquer que l’ouverture était précisément l’exercice demandé aux pensionnaires de troisième année de la Villa : si Velléda avait triomphé en 1888, le compositeur aurait alors été en troisième année au moment de Polyeucte. Hervé Niquet livre une interprétation altière de cet opus. Le second CD s’achève sur la Villanelle pour cor et piano (1905) orchestrée par Odette Metzneger, pièce plus tardive qui répond à celle qui le commence, L’ondine et le pêcheur pour soprano et orchestre. Conçue avant les années du concours, cette œuvreest traversée d’une audace précoce, suavement transmise par le violon et la voix de Chantal Santon-Jeffery, toute à l’érotisme de Théophile Gautier – « …d’un baiser m’apaiser, t’épuiser… ». Félicitons les artistes de Vlaams Radio Koor, formidablement investis dans les pages chorales.

BB