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Chroniques
Paul Dukas
Correspondance Volume 1 (1878-1914)
D’une trilogie annoncée, voici le volume initial de la correspondance de Paul Dukas (1865-1935), avec un peu plus de sept cents lettres postées entre 1878 et 1914. Il a fallu sept années de recherches à Simon-Pierre Perret (1935-2017), déjà l’auteur d’une biographie du compositeur [lire notre critique de l’ouvrage], pour la rassembler et l’annoter. Avant lui, seul Georges Favre, un élève qui fréquenta la classe parisienne avec Duruflé et Messiaen, s’était soucié de ces textes privés, mais pour n’en retenir que cent soixante-cinq. On imagine aisément quelles gemmes, autrefois délaissées par le disciple, on peut trouver ici, portant la signature de celui qui rédigeait quotidiennement huit à dix missives !
Musique oblige, portons d’abord notre attention sur les lettres envoyées à des confrères. La première, datée de 1893, s’adresse à Camille Saint-Saëns (1835-1921), dans la perspective d’orchestrer Frédégonde, un opéra inachevé du regretté Ernest Guiraud (1837-1892). À celui qu’il nommera longtemps Mon cher Maître, il dit n’avoir pas oublié les bonnes paroles prononcées jadis, lors d’un échec au prix de Rome qui vaudra à Charles Gounod la rancune tenace de l’expéditeur. La même année, Dukas écrit à Vincent D’Indy (1851-1931), confiant ses difficultés à échapper aux « monstres de la rêverie » qui tiennent éloigné d’un travail vraiment fertile. Gabriel Fauré est le troisième des aînés célèbres, contacté à partir de 1907, souvent avec humour. Parmi les cadets, qui demandent qu'on juge leurs fruits, citons Bréville, Casella, Castéra, Déodat de Séverac, Falla, Samazeuilh et Schmitt. Une phrase explique sa bienveillante attention : « il faut que les jeunes pousses nous consolent de l’ébranlement abominable que le temps fait dans nos arbres » (1909).
Remarquons ensuite la proximité avec deux femmes : Marguerite Hasselmans (1876-1947) et Laura Albéniz (1890-1944) – une centaine de lettres à elles deux, à partir de 1907. Pianiste et maîtresse de Fauré, la première est d’abord associée aux nouvelles médicales concernant leur deux familles avant qu’apparaisse une relation plus détendue (« plus que 300 élèves de solfège […] et je suis à vous ! »), mais sans confidences excessives. Avec la seconde, artiste peintre et fille d’Isaac Albéniz, la relation est d’emblée farceuse, indiscrète et câline (« toute mon affection à casser en petits morceaux pour sucrer chacune de vos tasses »), sinon réconfortante – toujours, la maladie rôde (« a-t-on fait la saignée ? »).
Terminons en évoquant Robert Brussels (1874-1940). À l’origine, ce dernier n’est pas un des amis proches de Dukas, conviés à des dîners hebdomadaires (les Tertuliens), mais un élève de Lekeu que d’Indy confie à l’auteur des Sirènes (1889) [lire notre critique du CD]. Faute de rigueur et de motivation (« toujours les mêmes fautes ! »), l’enseignement s’achève en 1901, mais le lien est gardé avec un jeune homme immature, dépressif et hypocondriaque dont le professeur devient un père de substitution. Près de cent trente lettres au ton libre en témoignent, d’une rudesse initiale qui s’attendrit, osant des Liebster ! et Diletissimo ! sans ambiguïté. Le « tendre pâteux » s’avère vite dépendant de leur relation et sermonne le junior, promu espion et bras droit, pour son absence de nouvelles (« à présent l’animal a reçu sa raclée pas volée, avouez-le »). L’arrivée de la Grande Guerre est l’occasion de considérations franches sur l’art et crues sur l’armée, en plus des inquiétudes légitimes (« soignez vos orgelets ! ») et du décompte des disparus.
« La vie est lourde, écrit un jour Dukas à Laura Albéniz (1910), elle serait insupportable si une ou deux fois pendant qu’elle dure, on ne rencontrait des êtres exceptionnels qui la font supporter et dont le seul souvenir l’embellit ». À lire l’amorce de sa correspondance, on ne doute pas que le musicien a rencontré plus d’une âme à qui se confier dans de rares moments d’abattement, en plus d’adresser des taquineries. En fin de volume, un index présente sommairement la cinquantaine de destinataires qu’il renferme, appartenant au cercle privé (son frère Adrien, ses amis Lallemand et Poujaud) ou public (Diaghilev, Maeterlinck, Taffanel, etc.). Les lettres étant numérotées, la recherche des uns et des autres dans ces pages devient un jeu d’enfant – merci Monsieur Perret !
LB