Chroniques

par laurent bergnach

Paul Dukas
Écrits sur la musique – vol.1 : le théâtre lyrique

Éditions Aedam Musicae (2019)
ISBN 978-2-919046-42-3
Pauline Ritaine rassemble nombre des quatre cents articles signés Paul Dukas

Mort à l’âge de soixante-neuf ans, Paul Dukas (1865-1935) lègue à la postérité une petite trentaine d’opus achevés, mais près de quatre cents articles, majoritairement consacrés au théâtre lyrique (1892-1932), comme en témoigne le premier volume de textes choisis, rassemblés et présentés par Pauline Ritaine, avec le soutien du Palazzetto Bru Zane. Docteure en musicologie, cette spécialiste de la critique musicale en France au tournant des XIXe et XXe siècles a voulu « rendre compte de la diversité des sujets abordés par le musicien, de la finesse et de l’érudition qui caractérisent sa plume, de sa bienveillance comme de ses piques parfois cinglantes, sans oublier son positionnement esthétique et artistique dans le contexte français des années d’avant – puis d’après-guerre ».

D’où proviennent ces textes ? Tout d’abord, à l’instar de son confrère Victorin Joncières [voir notre critique du livre-disque Dimitri], Dukas travaille pour La Liberté (1892-1901), y signant plus de cent cinquante comptes rendus. En parallèle, il œuvre pour le mensuel La Gazette des Beaux-Arts (1894-1902) et pour son supplément La Chronique des Arts et de la Curiosité (1894-1905) – avec huit longs articles illustrés pour le premier et près de deux cents chroniques pour le second. Redevenu musicien à temps plein, Dukas accepte pourtant de collaborer, sur une courte période ou de loin en loin, avec Le Quotidien (1923-1924) et La Revue Musicale (1923-1932). Si l’édition Samazeuilh (1948), conçue en collaboration avec la veuve du compositeur, proposait un classement purement chronologique de nombreux articles, notre musicologue lui préfère le regroupement thématique, avec deux grandes parties au présent volume : Art et Société (1892-1923), puis Critiques (1893-1924).

Dans la première partie, comme tout professionnel amené à composer des mélodies et des opéras, l’auteur d’Ariane et Barbe-Bleue [lire nos chroniques du 4 avril 2019, 30 avril 2015, 7 juillet 2011 et du 24 septembre 2007] évoque souvent les relations entre texte et musique, regrettant que cette dernière, à l’inverse de la voie ouverte par Gluck puis Wagner, « incline délibérément vers la littérature, parfois vers la pire et la plus opposée à elle-même ». Plus d’une fois aussi, Dukas réclame la troisième scène parisienne, un Théâtre-Lyrique qui permettrait aux novices de se confronter au métier, même au prix de productions imparfaites (« n’est-ce pas une suprême ironie de décerner un prix de musique, et de pousser de malheureux jeunes gens à travailler pour le théâtre, alors que nous n’avons pas de théâtre à leur offrir ? »). Outre des pensées variées sur l’écrin théâtral (acoustique, capacité d’accueil, etc.), ces pages montrent le créateur sensible à une gestion financière efficace, c’est-à-dire « un orchestre nombreux et bien discipliné » plutôt que des éléments scéniques dispendieux !

Fin connaisseur de l’évolution musicale, Dukas nomme à la moindre occasion Mozart, Gluck, Beethoven et Wagner. Au hasard de reprises parisiennes, la seconde partie de l’ouvrage le montre encenser ces précurseurs à l’occasion d’une reprise parisienne (Fidelio, Don Giovanni, etc.), avec une nette préférence pour le chantre de Bayreuth – en juillet-août 1892, en effet, il couvre la seconde intégrale londonienne du Ring, alors même que la capitale française n’a toujours pas programmé une seule journée du cycle… Éducateur patient, il revient sur la genèse de l’œuvre et son contexte historique, fustige la tradition de la coupe et de la traduction, avant de conclure : « le retour à l’authenticité, après des déformations plus ou moins conscientes, reste la meilleure manière de rajeunir les chefs-d’œuvre ».

Les pages Critiques s’achèvent sur un Dukas saluant le talent de Berlioz et de Rameau, mais aussi celui de ses contemporains Saint-Saëns (Samson et Dalila, Les barbares), Fauré (Prométhée, Pénélope), Debussy (Pelléas et Mélisande), D’Indy (Fervaal) et Charpentier (Louise). Si l’on sent le musicien-chroniqueur chercher souvent des périphrases pour ne pas heurter, s’il égratigne des compatriotes chez lesquels musique et drame peinent à fusionner (Bruneau, Hahn, Roussel, etc.), c’est sans faillir qu’il écorche Jules Massenet [lire notre critique de l’ouvrage] : décrit comme s’informant sans cesse du goût du public, des préférences du moment, l’auteur de Werther et de Sapho serait devenu un copieur éhonté. Quid de la musique de Cendrillon, s’interroge Dukas : « elle est de M. Massenet, c’est tout dire, mais elle est, cette fois, bien de lui ». Un avant-goût du second tome à paraître ?

LB