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Chroniques
Phil Kline
œuvres variées
Le 22 avril 1971, trois décennies avant de perdre la course à la Maison Blanche comme candidat démocrate, John Forbes Kerry fut le premier vétéran du Viet Nam à témoigner auprès d'un comité sénatorial, en treillis et médaillé, en vue de mettre un terme au carnage asiatique. En effet, depuis le 11 décembre 1961 – date des premiers débarquements d'hélicoptères à Saïgon –, les USA sont engagés dans un conflit qui vise à soutenir les Sud-Vietnamiens contre la guérilla des communistes, concentrés au Nord depuis la scission du pays en 1954. À partir de 1964, l'envoi de troupes sur place devient régulier et les bombardements augmentent, mais il faudra attendre encore pour qu'apparaissent les rumeurs de crimes de guerre contre des civils et les grandes manifestations contestataires organisées à Washington. Pour John Kerry, les enjeux du Viet Nam sont essentiellement politiques : « Des hommes doivent mourir afin que le Président Nixon ne soit pas, et ce sont ses propres mots, le premier président à perdre une guerre ». L'accord de cessez-le-feu, signé à Paris le 27 janvier 1973, donnera juste le droit aux États-Unis de récupérer ses prisonniers, et une soixantaine de jours pour évacuer le territoire. Par la suite, on a estimé à près de soixante mille le nombre de soldats américains ayant perdu la vie dans une guerre qui n'avait jamais vraiment été déclarée et n'empêcha pas, au final, la chute de Saïgon.
Influencé par la musique rock et compositeur à mi-chemin entre avant-garde classique et ambiances électroniques, Phil Kline revient sur l'origine de ce qui constitue le cœur de cet enregistrement, Zippo Songs, œuvre créée à New York en mai 2003 : « Il y a plusieurs années, j'ai lu quelque chose sur ces poèmes que les GI's américains gravaient sur leurs briquets, au Viet Nam. Il m'a semblé qu'enterré dans ce petit chapitre de la littérature se trouvait matière à un cycle de mélodies. Depuis leur collecte et leur parution, des centaines de poèmes sont désormais disponibles. Il n'y avait plus qu'à les sélectionner. Bien sûr, un poème sur la face d'un briquet ne peut pas dépasser deux ou trois lignes, douze ou seize mots, et un seul ne suffirait pas à une chanson. Ma solution fut de les regrouper par thème : deux ou trois poèmes sur l'Enfer, quatre ou cinq sur la mort... Dès lors, Zippo Songs commença à prendre la forme d'une succession d'ambiances variées et de préoccupations exprimant l'ennui, le rut, la quête de Dieu ». On y retiendra particulièrement la voix mélodieuse, parfois éthérée de Theo Bleckmann, le violon plaintif de Todd Reynolds.
Si, entre clichés d'apprenti philosophe et crudité de bidasse, ces textes déçoivent pris isolément, on se régalera en revanche, dans Three Rumsfeld Songs, des emprunts faits à l'actuel responsable du Pentagone, Donald Rumsfeld. Comment ne pas sourire de ces formules post 11 septembre, telles « Il y a ce qu'on sait et ce que l'on ne sait pas. Et il y a ce qu'on sait ignorer et ce que l'on ne sait pas qu'on ignore » ou encore « Il y a les choses que les gens voient. Il y a les choses que les gens ne voient pas. Ainsi va la vie » ? Avec le ton moqueur du chanteur, les staccati percussifs de David Cossin renforcent l'aspect comptine de ces absurdités qui n'ont cherché qu'à mobiliser l'opinion pour une autre guerre, si proche de nous, celle-là.
Avec la reprise des Doors, The End, The Funeral of Jan Palach clôt ces Airs de guerre et de démence – sous-titre de l'album. Le poème de David Shapiro fait bien sûr référence à l'immolation par le feu du jeune étudiant tchèque, le 16 janvier 1969, en réaction à l'occupation de son pays par les troupes du pacte de Varsovie, mettant alors fin à une possibilité de socialisme à visage humain. Jan Palach, qui souhaitait le réveil de ses compatriotes, n'a cessé depuis de servir de référence à leurs luttes, à l'image de Jan Hus, le premier martyr national. Trois courts instrumentaux encadrent ces pièces chantées, où la bande magnétique mixe bruits de jungles, d'hélicoptère ou psalmodie fiévreuse, agrémentée de la guitare de Kline.
LB