Dossier

dossier réalisé par bertrand bolognesi
paris – 23 décembre 2014

Philharmonie de Paris
les murs ont des oreilles #8

octobre 2014, la salle de Jean Nouvel progresse peu à peu
© nicolas borel – octobre 2014

D’heure en heure progresse le vaste chantier de la Villette. On en parlait il y a huit ans et nous y voilà : la Philharmonie de Paris ouvrira ses portes au public ce 14 janvier, avec un concert de gala donné par l’Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi. À l’aube de l’événement, nous visitons le site et rencontrons Laurent Bayle, président de l’institution et directeur de la Cité de la musique depuis une dizaine d’années. Il nous en explique le projet, la réalisation, les attentes, enfin l’histoire.

naissance du projet

La décision de construire la Philharmonie de Paris fut annoncée conjointement par le Ministre de la Culture et le Maire de Paris, à l’époque Renaud Donnadieu de Vabres et Bertrand Delanoë. De mars à novembre 2006, nous avons établi un programme qui en définissait les contenus. L’État et la Ville avaient auparavant choisi le site de la Villette, puisqu’il comprenait déjà les sources de ce vaste projet, à savoir la Cité de la musique et le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD), équipements que viendrait donc compléter la Philharmonie à venir. S’il avait fallu la construire plus au cœur de Paris, il aurait été indispensable de reconstruire également ces équipements dans sa nouvelle proximité, à l’instar de ce qui se fait aujourd’hui dans toutes les grandes capitales du monde en matière de complexe culturel. Car si vous construisez maintenant une salle de plus de mille huit cents places au cœur de la ville sans autre contexte culturel alentour, un net problème d’exploitation se posera forcément : seule une programmation conforme au star system y survivrait, sans qu’il soit possible de promouvoir des carrières émergentes. Au contraire, considérant que les modèles existants étaient trop fermés, restreints, repliés sur eux-mêmes, et qu’ils étaient exclusivement des salles de concert sans comporter d’autres services, ce projet était radicalement différent.

un nouveau modèle de diffusion de la musique

Dès les premiers temps, le projet comportait une grande salle qui devait répondre aux exigences de l’univers symphonique, des espaces de répétition en nombre suffisant afin de pallier la difficulté typiquement française et parisienne de nos orchestres – on a tendance à construire des lieux de concert sans réfléchir à la nécessité d’y répéter, ce qui n’est absolument pas le cas chez nos voisins européens –, mais encore un espace réservé à la pédagogie afin de mettre en place un nouveau modèle où le concert ne soit plus le seul élément d’appropriation de la musique mais soit mis en regard par d’autres appréhensions de cet art, notamment pour des publics nouveaux : ateliers collectifs où, que vous connaissiez ou non la musique, que vous soyez enfants ou adultes, il vous est possible, dès les premières séances, d’être en contact avec la notion de plaisir dans la musique, les questions de solfège n’apparaissant que dans un second temps. Pas d’enseignement spécialisé ici, nous ne concurrençons pas le CNSMD, bien sûr.

sur cette maquette, les promeneurs s'approprient la Philharmonie de Paris
© gaston septet

À l’inverse du modèle ancien qui privilégie la relation individuelle à l’instrument et à un professeur, nous proposerons une approche collective de la musique dont le principal moteur demeure le plaisir de l’écouter, de la faire et de la vivre ensemble. Ces ateliers sont suffisamment ouverts pour permettre de commencer un week-end à 11h du matin et d’enchaîner sur le concert de l’après-midi, par exemple, en le partageant avec ses enfants ou en offrant à ceux-ci de prolonger ce temps pédagogique par un autre atelier pendant que les parents sont au concert, quitte à se retrouver tous ensemble ensuite lors d’une activité intergénérationnel. Nous avons également un espace d’expositions temporaires qui complète celui du Musée de la musique, au sous-sol de la Cité. Nous avons également prévu des espaces ludiques, comme bar, restaurant, etc. En résumé : une salle de 2400 places, cinq salles de répétitions dont une pouvant accueillir le public (gradins amovibles), un pôle éducatif de 1800m², un espace d’exposition, une salle de conférence de 200 places, une bibliothèque, une librairie, un restaurant et un bar.

un complexe culturel ouvert sur le « Grand Paris »

Nous avons organisé la compétition internationale en décembre 2006. Elle recueillit une centaine de candidatures dont six furent sélectionnées à la fin de l’année. Elles comptaient trois équipes étrangères – l’architecte irakienne Zaha Hadid, le collectif autrichien Coop Himmelb(l)au qui vient de réaliser le Musée des confluences à Lyon, le groupe néerlandais de Rem Koolhaas – et trois équipes françaises – Francis Soler, Christian de Portzamparc à qui l’on doit le CNSMD et la Cité de la musique, enfin Jean Nouvel. La proposition de ce dernier fut retenue en mars-avril 2007 par un jury international de vingt-quatre personnes : huit architectes, huit personnalités désignées par l’État et huit autres désignées par la Ville de Paris, étant entendu que ces seize-là comptaient quelques musiciens, comme le compositeur Pascal Dusapin, le chef d’orchestre Christoph Eschenbach, le directeur du Festival de Lucerne Michael Haefliger et moi-même. Ce jury était coprésidé par Renaud Donnadieu de Vabres et Bertrand Delanoë. Choisir Jean Nouvel ne signifiait pas critiquer les autres projets, mais simplement que le sien répondait le plus précisément à nos besoins.

Deux éléments ont retenu notre attention. D’abord Jean Nouvel va loin dans sa réflexion sur la manière d’intégrer le bâtiment dans un contexte spécifique. Ce contexte peut être estimé comme relativement difficile, car on est à l’arrière de la Cité de la musique, pas même en première ligne si l’on vient de l’avenue Jean Jaurès ; certes l’avant du bâtiment regarde vers le Parc de la Villette, ce qui est éventuellement favorable, mais l’arrière fait front au boulevard Sérurier et au Périphérique qui représentent une frontière entre Paris et sa banlieue. Le risque était donc que la Philharmonie ne soit active qu’au regard du parc, voire qu’elle tourne le dos à la banlieue, c’est-à-dire à ce qu’on appelle maintenant le « Grand Paris », enfin qu’elle ne s’impose pas, par rapport à la Cité de la musique et au Conservatoire.

la Philharmonie vue de la Porte de Pantin, décembre 2014 © Bolognesi
© bertrand bolognesi – décembre 2014

Dans les décennies à venir, lorsque les gens auront oublié l’histoire de ces constructions, lorsqu’arriveront des publics qui ne s’interrogeront pas forcément sur le fait que la Cité fut édifiée quelques vingt ans avant la Philharmonie, le danger est que la grande salle ne soit pas perçue d’emblée comme l’élément porteur du site. Jean nouvel a parfaitement considéré cette contextualisation. Vis-à-vis du parc, il a fait en sorte que les promeneurs puissent continuer la promenade sous le bâtiment lui-même. Aussi la Philharmonie ne représente-t-elle pas une frontière avec le parc, elle ne lui oppose ni façade fermée ni escaliers définitifs, mais au contraire vous laisse vous glisser sous elle, vous mettant de ce fait en contact avec toutes les activités qu’elle propose en journée : à droite les espaces pédagogiques, en face l’espace d’exposition, puis le bar de l’autre côté. Ainsi, même quand la salle de concert est fermée, le lieu autorise une circulation fluide et offre ses autres activités, au hasard de la promenade.

D’autre part, pour permettre cette circulation, Jean Nouvel a soulevé la salle elle-même. Situer le bas de la salle à dix mètres du sol est une stratégie qui permet de monter la Philharmonie jusqu’à la limite autorisée par l’urbanisme parisien, à savoir 37m de haut – le volume qu’il utilise pour la salle elle-même est donc d’environ 27m, incluant son espace proprement dit et le vide qui l’entoure jusqu’au toit. Deux avantages dans cette utilisation de la hauteur maximum : primo l’architecte redonne de la force physique à son bâtiment, même lorsqu’on le voit depuis l’avenue Jean Jaurès, sans pour autant atteindre la monumentalité ; secundo la Philharmonie gagne en visibilité depuis la banlieue, visibilité d’ailleurs renforcée par la présence d’un signal plus haut encore, la loi autorisant de pousser jusqu’à 52m à condition que les 15m supplémentaires ne soient pas utilisés pour une activité humaine (bureau, habitation, etc.) : un laser viendra écrire le programme à venir sur une sorte de main tendue à des publics nouveaux par-delà le périphérique.

Enfin, dernier élément fort de contextualisation : si l’on peut se promener sous le bâtiment, on peut aussi continuer la balade sur le bâtiment, monter sur le toit comme sur une colline supplémentaire des Buttes-Chaumont. L’architecte utilise le maximum de l’espace disponible en faisant mourir son bâtiment Porte de Pantin, à l’arrière de la Cité de la musique – une zone que les autres projets n’investissaient pas –, l’inscrivant ainsi dans ce nouveau paysage urbain, avec le tramway. De la même manière qu’on peut marcher sur le toit sans interrompre la promenade, le public arrivant à cette station de tram ne sera pas contraint de faire le tour pour arriver par le parc à l’entrée principale de la Philharmonie, mais pourra monter au-dessus des espaces pédagogiques pour atteindre directement la salle. Ainsi le bâtiment raccorde-t-il toutes les parties de ce quartier. Enfin, Jean Nouvel fait avantage de la difficulté du terrain lui-même, avec sa déclivité problématique dont il récupère sur l’étendue de l’édifice toutes les différences de niveau.

la salle de concert : shoe box ou vignoble ?

accès à la grande salle de la Philharmonie © Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi – décembre 2014

Le deuxième élément intéressant du projet Nouvel concerne la salle de concert elle-même. Historiquement, la salle de concert en tant qu’entité propre se développe aux XVIIIe et XIXe siècles – jusque-là, le concert se donnait dans des espaces privés dont peu à peu les proportions se sont élargies, dans des palais ou dans des maisons d’opéra. L’heure de gloire des salles de concert survient avec l’avènement de la grande bourgeoisie de la société industrielle dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sont alors construits les grands lieux européens, tels le Musikverein à Vienne ou le Concertgebouw d’Amsterdam, mais aussi les halls symphoniques étatsuniens, comme Boston, par exemple. Il s’agit de salle de 2000 places où la bourgeoisie montante vient se reconnaître et se montrer dans le partage de plaisirs qui désormais ne sont plus privés.

Plus d’un siècle plus tard, ces salles frontales restent le modèle dominant, bien qu’on ne puisse penser la musique de la même façon au XXIe siècle. Il a fallu le faire évoluer sur les plans ergonomique et acoustique. Au XIXe siècle, on pouvait accueillir 2000 personnes dans un volume relativement restreint. À l’époque, on compte environ 7m3 ou 8m3 par personne, ce qui fait à peu près 15 000m3 au total. Voilà qui s’accommode parfaitement à ce qu’on appelle le modèle shoe box : un parallélépipède formé par deux parois latérales entre lesquelles placer le public face à la scène, sur un parterre surmonté d’un ou de deux balcons.

Le XXe siècle a vu croitre ce volume global, à la fois parce que des raisons de sécurité lui imposèrent de nouvelles normes (le calcul du temps d’évacuation des lieux) et parce que les gens ont grandi et qu’ils n’acceptent plus aujourd’hui d’être entassés comme l’étaient les générations précédentes. Mais aussi parce que sont apparues des réalités musicales nouvelles. Les volumes du XIXe siècle sont trop petits pour les symphonies de Brahms, de Bruckner et de Mahler qui convoquent un effectif orchestral nettement conséquent. Le vaste édifice mahlérien qui occupe toute une soirée ne peut pas porter comme il se doit dans un espace conçu pour les formes explorées par Haydn ou Beethoven, bien évidemment. Ces différentes raisons conduisent immanquablement à l’augmentation du volume des salles de concert. Si on ne l’augmente pas, le seul choix possible est de réduire le nombre de spectateurs. Par exemple, en 1927 la Salle Pleyel accueillait 3000 personnes – on n’arrive pas même à se le représenter quand on sait que jamais son volume n’a changé (environ 17 000m3) ! – ; dans les années soixante, on la retrouve à 2370 places et, depuis sa réouverture à l’automne 2006, elle ne compte plus que 1913 places. Aujourd’hui la norme est de 12m3 à 13m3 par personne, ce qui change considérablement la donne.

l'atelier de Jean Nouvel montre virtuellement la future Philharmonie de Paris
© arte factory (image virtuelle)

Créer un volume suffisant pour satisfaire les grands répertoires, c’est désormais prévoir 25 000m3, voire 30 000m3 pour des salles contenant 2200 à 2500 spectateurs. Le problème du modèle shoe box est qu’en de telles proportions il éloigne de plus en plus l’auditeur de la scène ; du coup, pour pallier ce désagrément l’on construit des balcons superposés au-dessus du fond du parterre, détruisant grossièrement toute notion acoustique puisque le son vient s’y engouffrer lamentablement (c’est ce qui se produit au Théâtre du Châtelet, par exemple). Le volume historique du XIXe siècle fonctionne bien tant qu’on le maintient dans une certaine volumétrie mais plus du tout dès qu’on est obligé de faire progresser cette dernière donnée. Le premier modèle substitutif nouveau sera celui de la Philharmonie de Berlin, inaugurée en 1963. L’architecte Hans Scharoun et son acousticien ont relevé le défi en imaginant un espace enveloppant. Le public y est situé tout autour d’une scène centrale, ce qui en rapproche forcément le spectateur le plus éloigné. Outre que Scharoun réduit l’éloignement du public, le voilà également dispensé des balcons superposés : il a recours à des gradins inclinés qui, lorsqu’on les regarde depuis la scène, peuvent évoquer les parcelles de vigne sur des coteaux – aussi parle-t-on aujourd’hui de modèle vignoble, même s’il est moins facile d’en percevoir d’emblée le net dessin dans les salles postérieures construites dans cette lignée.

une salle d’un type nouveau

La Philharmonie de Paris sera la première salle au monde à explorer du nouveau à partir de ces modèles connus. Avec ses 32 000m3, nous sommes sur un modèle enveloppant, comme à Berlin. La scène est au centre et le public se répartit bien tout autour, sauf que Jean Nouvel et son acousticien Harold Marshall ont imaginé de détacher des murs les balcons. Le public qui arrive par les couloirs rejoindra donc ces balcons par des passerelles – comme lorsqu’on monte dans un avion, si vous voulez. Cette innovation permet de projeter les deux balcons plus près de la scène et du chef, sans jamais les superposer pour autant. Le premier impact est ce rapprochement non négligeable du spectateur le plus éloigné – quelques données élémentaires afin de le mieux évaluer : à Pleyel, ce spectateur regarde le concert à 47m de distance, en haut du deuxième balcon ; à la Philharmonie de Berlin, il n’est plus qu’à 40m du chef ; ici, alors que le volume est un peu plus important encore, il se trouve à 32m de distance, pour une même capacité d’accueil qu’à Berlin (2400 places, réduites à 2200 si un chœur intervient dans le programme du soir). Oser le pari de l’intimité dans un volume très grand, c’est résoudre un paradoxe qui tient du casse-tête. Or, il faut bien comprendre que le volume ne fait que croitre et croitre toujours : les autorités ont réduit le temps d’évacuation des espaces publics, les personnes à mobilité réduite doivent pouvoir accéder à tous les niveaux de la nouvelle salle, etc. La réglementation en vigueur génère cette croissance continuelle du volume global.

les courbes du plafond de la Philharmonie de Paris © Julien Mignot
© julien mignot – plafond en travaux

En détachant les balcons du mur, encore Nouvel invente-t-il un espace sonore à l’arrière : le public flotte donc dans le son, pour ainsi dire, ce qui jamais ne s’était fait jusqu’à présent. Au fond, cette salle possède deux volumes : un intérieur de 25 000m3 et un extérieur de 7 000m3 qui permet d’éviter tout claquement du son et un mixage plus équilibré. Bien sûr, nous constaterons à l’usage si le résultat final réalise ces promesses théoriques, mais c’est depuis le début du projet un élément fort qui fut immédiatement repéré par les musiciens comme un atout de poids.

Enfin, nous souhaitions une Philharmonie qui puisse s’adapter à différents usages. Des salles comme la Philharmonie de Berlin, le NHK Hall de Tokyo ou le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles fonctionnent admirablement dans une configuration « simple », c'est-à-dire le concert avec orchestre. Mais si l’on a un orchestre avec une chanteuse, c’est parfait pour le public frontal mais pas du tout pour celui qui est placé à l’arrière, face au chef, la voix ne portant que d’une manière strictement directionnelle. D’autre part, le XIXe siècle ne se préoccupait que de musique dite « classique » quand il s’agissait de concevoir une nouvelle salle de concert, et les musiques amplifiées n’existaient pas encore. La salle du XXIe siècle doit majoritairement se consacrer à la musique classique, mais pas exclusivement ; elle doit également pouvoir se nourrir d’autres univers comme les musiques du monde, le jazz et la pop émergente. Pour jouer ces musiques amplifiées, il faut mettre des haut-parleurs devant la scène, de sorte que le public situé à l’arrière du plateau ne perçoit plus convenablement le concert.

Le projet de Jean nouvel répond idéalement à notre demande quant à ces questions, puisque les balcons de l’arrière-scène sont télescopiques. Ainsi pourrons-nous les rétracter et installer la scène à leur place, utilisant dès lors le plateau en prolongation du parterre dans une nouvelle configuration, strictement frontale, cette fois. En cas de besoin, la Philharmonie répondra donc à une attente jusqu’à présent comblée par aucune autre salle. Nouvel est allé plus loin que nos demandes en proposant un dispositif pour le parterre lui-même : par une opération mécanique rapide (environ trente minutes), on pourra le baisser (un parterre est toujours incliné) jusqu’à le mettre à plat, puis le retourner (les sièges se trouveront alors dans le vide sous la salle) afin d’accueillir un public debout. Nouvelle configuration, donc : la scène est à l’arrière, tout le parterre est utilisé en public debout et les balcons de face en public assis ; la capacité s’élève soudain jusqu’à 3700 personnes environs. La Philharmonie de Paris offre donc une flexibilité dont aucune autre salle symphonique ne dispose à l’heure actuelle. Aujourd’hui, la question de la variété des répertoires, plus généraliste, se pose partout dans le monde ; la souplesse d’utilisation induite pourrait peut-être faire de notre salle le modèle de l’avenir.

gros sous

Philharmonie de Paris : Laurent Bayle en évoque les polémiques budgétaires
© bertrand bolognesi – décembre 2014

Comme d’habitude autour d’un chantier comme celui de la Philharmonie, polémique fut faite quant à la dépense publique qu’il représente, ce qui est assez normal, s’agissant de l’argent du contribuable. Le coût de départ du projet de 2006 était de 200 millions d’euros. Il se divise en deux postes : 130 millions pour la construction elle-même et 70 pour l’intégralité des honoraires (architecte, bureau d’étude, bureaux de contrôles, assurance, éventuels aléas) et tout le premier équipement (instruments, projecteurs, etc.). Si en décembre 2014 le budget dans sa globalité approche des 400 millions d’euros, cela ne signifie pas une multiplication par trois du coût de la construction, mais une multiplication par deux du budget d’origine.

Il s’explique en partie par les huit ans et demi de décalage : 100 millions d’euros de 2006 ne sont évidemment pas 100 millions de 2014, sachant la période de crise située entre 2011 et maintenant, période durant laquelle le chantier fut effectif. Afin d’avoir une vue autorisée sur le dépassement du budget, il faudrait d’abord faire un calcul précis de son augmentation au regard du glissement inflationniste des matériaux du bâtiment et du marché international de ces matériaux, très fluctuant d’année en année. Le reste du dépassement est lié à la spécificité du projet. La principale difficulté de ce type de grands projets est qu’ils ne soient pas modélisables. Nous n’avions pas d’exemple à partir duquel transférer les données financières, les plus proches de nous étant Berlin – le début des années soixante : les réalités ont trop changé depuis – et Los Angeles, mais la construction du bâtiment de Frank Gehry s’étant étalée sur plus de quinze ans, le Walt Disney Concert Hall ne constitue pas une référence. Il est quasiment impossible de fermer les coûts en amont sur les projets concernant ce type d’équipements.

D’autre part, le fait de pouvoir parcourir le bâtiment et d’aller se promener sur son toit vient modifier ses coûts. De manière comparable, le fait d’ouvrir au public la grande salle de répétition oblige à des dégagements différents, en termes d’évacuation, modifie l’accès et donc le coût, partant que le projet de départ – 200 millions d’euros avant l’élection d’une maquette, rappelez-vous – n’avait pas calculé cette donnée (il n’avait pas à le faire puisqu’elle n’existait pas encore). Enfin, l’évolution des règles en matière environnementale, entre 2006 et 2011, et surtout celle de la réglementation de l’accès pour les personnes en situation de handicap, ces dernières années, ont induit une dépense obligatoire qui n’était pas initialement prévue. Sur les bâtiments qui ne se sont pas encore ouverts au public, l’État exige à juste titre qu’ils soient parfaitement respectueux de toutes ces nouvelles normes. Il faut savoir que sur les édifices qui existaient avant la loi, l’État lui-même, considérant que nous sommes en période de crise économique, a convenu de retarder l’échéance de l’application de ces lois qui, pour des équipements comme la Cité de la musique, par exemple, représente plusieurs millions d’euros. De fait, à tous les bâtiments publics qui auraient dû vérifier ses nouvelles normes en 2015, l’État accorde une prolongation de délais jusqu’à 2017 afin d’étaler les coûts. Les règles, et par conséquent le coût de leur respect, ne sont pas statiques dans le cadre de la construction d’un équipement comme une salle de concert. Il est bien évident qu’on ne bloque pas la construction de la Philharmonie dans l’état de la réglementation qui était en cours lors de l’élection du projet en 2006, alors qu’elle ouvrira ses portes en 2015, mais qu’elle doit au contraire vérifier les règles en vigueur au moment de son inauguration. L’instabilité de ce contexte est à prendre en compte dans l’évaluation de son budget final.

Rendez-vous le 14 janvier à 20h30, donc, mais plus encore pour le week-end portes ouvertes où découvrir la Philharmonie du samedi 17 janvier à 11h jusqu’au dimanche 18 vers 19h, à travers ateliers, fanfares, concerts-promenades, moments chambristes, spectacles, performances et grands concerts symphoniques !