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Chroniques
Philip Glass
œuvres variées
Pourquoi décider de sortir une anthologie du vivant du compositeur ? La question soulève plusieurs objections. D'abord, Philip Glass n'est pas mort, il lui reste encore du temps pour composer de nouvelles choses – Dutilleux ne vient-il pas d'avoir 95 ans ? Ensuite, le laisser piloter une sélection de ses œuvres produit un résultat fatalement subjectif, comme lorsque l'on permit, en d'autres temps, le soin à André Gide de choisir, de son vivant, les œuvres qu'il souhaitait voir publier en Pléiade. Pour conclure, arrêter un corpus d'œuvres, c'est remettre en cause le « travail introductif préliminaire » d'un premier coffret sorti en 2008 (Of beauty and light) et freiner les publications ultérieures (et leurs succès) des archives de Glass déjà connues : Philip Glass Recording Archive (quatre volumes répartis en Theater music et Film scores), Concerto Project (trois volumes pour le moment) et autre Orchestral Music Archive (deux volumes). On arguera avec justesse qu'il ne s'agit pas des œuvres complètes, mais d'une rétrospective, et qu'à ce titre le choix des œuvres, quoique toujours subjectif, n'en est que plus intéressant. Tâchons d'avoir une vue d'ensemble des dix CD que comporte cette Glass Box.
Pour commencer il y a peu à dire sur les deux premiers. Chronologiquement, il apparaissait évident de choisir des Early Works (1969-1970) pour présenter à l'auditeur curieux l'esprit minutieux de l'écriture musicale. On pourra objecter au sujet du deuxième disque la sélection de seulement quatre des douze parties de la Music in Twelve Parts, prévues pour être jouées d'un seul tenant ; de même qu'on pourra trouver curieux que le disque 4 soit notamment consacré à Étoile polaire, partition inégale dont les morceaux choisis auraient pu être renvoyées au disque 10, Filmworks.
Il n'y a rien à redire au sujet des disques 3 (morceaux choisis d'Einstein on the Beach) et 5 (extraits de l'opéra Satyagraha) : la sélection est intelligente. Tenant d'un certain équilibre, je ne comprends pas pourquoi le sixième, qui revient sur la trilogie des qatsi (Koyaanisqatsi, Powaqqatsi, Naqoyqatsi, films réalisés par Godfrey Reggio) ne comporte pas d'extrait de Naqoyqatsi, qui recèle de très bons moments [lire notre chronique du 18 décembre 2005].
Le disque 7 aurait pu se passer des maigrichonnes études pour piano (alors qu'on fait l'impasse sur les incontournables Metamorphosis) ; quant à la sélection des String quartets, malgré l'excellent travail du Kronos Quartet, on peut lui préférer l'intégrale enregistrée par le Smith Quartet en 2008. On comprend que le Concerto n°3 soit rejeté au disque 10, puisqu'il a servi à épaissir la B.O. du film Mishima (Schrader, 1984). Le disque 8 met à l'honneur Hydrogen Jukebox (composé sur des textes d'Allen Ginsberg), aux dépens toutefois – et c'est regrettable – de la contribution de Glass aux CIVIL warS et, surtout, de l'opéra Akhnaten qui aurait supporté deux ou trois références supplémentaires. Quant à la formidable Symphonie n°5, on n'en aura qu'un maigre passage, soit un septième mouvement amputé ! Le disque 9 propose les Symphonie n°3 (du bonbon pour les oreilles) et Symphonie n°8, dans leur intégralité, là où on aurait apprécié l'admirable Sixième. Mais, encore une fois, le choix est subjectif – autant que le sont mes appréciations.
Le disque 10, pour conclure, est dispensable. La musique de film représente une telle activité pour Philip Glass qu'elle a fait l'objet de deux publications synthétiques et de plusieurs adaptations pour piano seul, orchestre, orchestre et piano. Le tour d'horizon proposé sur cette seule galette reste cependant agréable ; on trouve de plaisants extraits de The Secret Agent (Hampton, 1996) et de Kundun (Scorsese, 1997), conclus par The Poet Acts, canevas symbolique du film de Stephen Daldry The Hours – qui a valu à Glass une nomination aux oscars.
Je le dis tout net : ce coffret est intéressant, mais décevant. Il y a de vrais manques, tandis qu'en étant publiés dans cette Box, certaines partitions de qualité intermédiaire vont passer à la postérité. Pourquoi ne trouve-t-on aucune citation de The voyage dont certains pans sont dantesques, de Waiting for the Barbarians dont les accents tragiques renvoient à l'essence même de l'opéra ? Pourquoi le seul extrait de La Belle et la Bête est-il renvoyé au dixième CD, alors que de la Trilogie Cocteau, certains passages des Enfants terribles et d'Orphée sont incontournables, au point d'avoir été repris et adaptés (pour le premier, en quatre-mains et pour l'autre, en suite pour piano) ?
Quid des partitions purement vocales impressionnantes de technique et d'inspiration que sont Early voice (travaux des années soixante-dix) ou Persephone (1994), dont les Études pour piano (2003) que je taclais un peu plus tôt n'en sont qu'une reprise appauvrie ? Qui a essoré les Songs from Liquid Days (1986) ? Où sont passés les troublants Monsters of Grace de Robert Wilson qui a refermé le Book of longing, imaginé avec Leonard Cohen ? Pourquoi a-t-on occulté les musiques de ballet – The Photographer et A Descent in the Maleström, intéressants à plus d'un titre, mais aussi les Dancepieces et autres Dances ?
Cette rétrospective a le défaut de sa qualité : elle est une assez bonne introduction à la musique de Philip Glass, mais elle en est une sélection partiale et pas toujours cohérente.
JMC