Chroniques

par laurent bergnach

Philip Glass
Paroles sans musique

La rue musicale (2017) 384 pages
ISBN 979-10-94642-09-2
Philip Glass (né en 1937) se raconte dans une autobiographie traduite en 2017

Âge d’or du romantisme, le XIXe siècle nous combla de Mémoires de compositeurs (Berlioz, Gounod, Massenet, etc.). Depuis, plus rares sont les musiciens à raconter leur vie à la première personne, sans le filtre de l’entretien. Philip Glass (né en 1937) est de ceux-là. Libre de dérouler sa vie à sa guise, il confie directement aux oreilles de son lecteur les petites et grandes étapes de sa carrière.

Avant l’adolescence, inscrit à l’Institut Peabody, le jeune Philip se passionne pour la flûte, assiste de loin aux cours de piano de son frère et participe à des leçons collectives données par le premier percussionniste du Baltimore Symphony Orchestra. Son père, ancien Marine dur en affaires mais doux en famille, l’engage durant l’été pour vendre les disques de sa boutique, tandis que lui-même s’occupe de réparer radios et téléviseurs. Ces enregistrements sont une mine pour le compositeur en herbe : « j’écoutais toute la musique populaire qui sortait à l’époque : j’adorais sa vitalité, son inventivité, son état d’esprit ». Curieux de savoir ce qu’il vendait, Ben Glass écoute lui aussi ses disques à la tombée du soir, découvrant les quatuors de Schubert, Chostakovitch et Bartók – « c’est ainsi que sont entrés dans mon cœur et dans ma tête les sons de la musique de chambre, qui sont devenus pour moi une sorte de vocabulaire musical élémentaire ».

Diplômé de l’Université de Chicago – ville où il entend les jazzmen des clubs et Fritz Reiner à la tête de l’orchestre local –, Philip Glass reçoit ensuite un enseignement professionnalisant à New York, Juilliard School (1957-1962), ou encore les conseils parisiens de Ravi Shankar et de Nadia Boulanger. Celle-ci voit en lui un créateur dès le déchiffrage de ses premiers opus, quand tant d’ignorants, troublés par l’apparente naïveté, veulent le renvoyer à l’école. De fait, la reconnaissance, accompagnée de la sécurité financière, n’arrive pas avant la quarantaine, et plus d’un aurait renoncé à l’attendre, comme lui le fait, en multipliant les boulots alimentaires durant deux décennies (déménagement, plomberie, taxi, etc.).

Si nombre de chapitres évoquent la genèse d’ouvrages mythiques – Premiers concerts, Einstein on the beach, La trilogie Cocteau, etc. –, d’autres ont une saveur plus intime, comme le voyage en Orient avec JoAnne, l’épouse des jeunes années, la villégiature de Cap-Breton, ou encore les moments passés avec Candy, la compagne trop tôt disparue. Des figures s’imposent encore, au fil des pages, liées à la littérature (Doris Lessing, Allen Ginsberg), aux arts plastiques (Richard Serra), sans parler des guides spirituels. Qu’il soit en société ou face à sa table de travail, on prend plaisir à mieux connaître un homme cultivant d’autant moins le secret qu’il avoue s’être mis à composer pour comprendre un mystère : « d’où vient la musique ? ».

LB