Chroniques

par laurent bergnach

Philip Glass
quatuors à cordes

1 CD Megadisc Classics (2018)
MDC 7880
Le Quatuor Tana joue Philip Glass

Dans le dernier chapitre de ses Mémoires, parues en 2015, Philip Glass confie : « je n’aurais pas été capable d’écrire les œuvres que je compose aujourd’hui il y a dix ans. Je n’étais pas dépourvu des outils musicaux pour le faire, mais je n’avais pas en moi la capacité d’habiter la musique de cette manière » (in Paroles sans musique, La rue musicale, 2017 – ainsi que toutes les citations suivantes) [lire notre critique de l’ouvrage]. Comme nous allons le voir, cette évolution est sensible à travers sept quatuors à cordes qu’enregistrent les Tana – Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun (violons), Maxime Desert (alto) et Jeanne Maisonhaute (violoncelle).

À l’automne 1964, Philip Glass (né en 1937) s’installe à Paris pour parfaire sa formation musicale auprès de Nadia Boulanger, celle-là même qui proclamerait d’emblée, en désignant une mesure sur les partitions qu’il lui soumet : « ah, ceci a été écrit par un compositeur ! ». Ce n’est pourtant pas la composition qu’enseigne la Française, habituée aux élèves nord-américains (Bernstein, Carter, Copland, Gershwin, Piston, Thompson, etc.), mais la technique musicale, ce qui permet à notre diplômé de la Juilliard de trouver enfin la voie de son oreille intérieure. Au terme de deux années à ses côtés, le premier quatuor voit le jour (1966 ; création en 1986), qu’Antoine Maisonhaute juge fort expérimental, avec son matériau aux couleurs post-wéberniennes, et sa forme célébrant respiration et silence (notice du CD). Il est émouvant de contempler ici les racines peu connues d’un créateur que la plupart des Européens a découvert dans sa maturité.

Fruits des années quatre-vingt, les trois opus suivants indiquent en sous-titre leur origine. Le deuxième quatuor, Company (1983), regroupe quatre mouvements brefs destinés à une adaptation scénique d’un court roman de Samuel Beckett, un auteur dont Glass connaît bien les écrits, et qui indiqua pour l’occasion : « la musique doit aller dans les interstices du texte ». Le troisième quatuor, Mishima (1985), condense la partition écrite pour le film éponyme de Paul Schrader, avec ses différents fils rouges (la jeunesse, la mort et l’imaginaire de l’auteur du Pavillon d’or – roman dont Toshiro Mayuzumi tira un opéra) [lire notre chronique du 29 mars 2018]. Enfin le quatrième, Buczack (1989), est un hommage à Brian Buczak (1954-1987), l’un des artistes trentenaires que le Sida a fauchés durant la première décennie de son apparition, un de ceux qui n’ont pas « vécus assez longtemps pour devenir célèbres, ni même commencer à sortir de l’anonymat ».

Si le cinquième quatuor (1991) reste proche du précédent, ne serait-ce que par sa date de composition, on découvre un nouveau langage dans les sixième (2013) et septième (2014) que Philip Glass élabore après plus de deux décennies d’éloignement du genre. Sans doute faut-il y voir l’empreinte de son expérience de la symphonie, ses dix premières ayant été créées entre 1992 et 2012.

LB