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Chroniques
Philippe Beaussant
Passages – De la Renaissance au Baroque
Il est des moments de l'histoire où tout semble s'accélérer : non seulement les événements, mais les pensées des hommes et leur transcription dans l'art. C'est ce qui se passe entre 1560 et 1610, années de passage entre la Renaissance et cette période baroque dont Philippe Beaussant est un spécialiste. Après des ouvrages sur Couperin, Rameau et Lully, le romancier et musicologue ne regarde pas ici la vie de compositeurs au microscope, mais s'interroge sur une époque charnière, riche en changements et transformations esthétiques, dans le domaine de la peinture et du théâtre.
Ainsi, à quoi tient l'originalité du Tintoret, auquel l'Arétin reprochait de « peindre trop vite » ? C'est qu'il s'évertue à ce que tout nous apparaisse comme en train de s'accomplir, à l'instant où nous le regardons et selon les mots de l'auteur – « comme si chaque personnage était surpris dans son élan, dans la torsion de son corps, dans la manifestation de sa stupeur ou de son effroi ». Si le geste était entré dans la peinture depuis des siècles, si nous voilà désormais habitués aux pouvoirs photographiques, Beaussant nous demande de retrouver une certaine naïveté pour comprendre ce qui a gêné dans cette innovation : « il n'était plus désormais suffisant de figurer le bras qui se tend : il fallait que le coup de pinceau aille aussi vite ; ou du moins qu'il le suggère, non par le motif peint seulement, mais par la manière dont il est peint ». Autrement dit, c'est l'adéquation du geste de l'artiste avec ce qu'il veut montrer.
De même Véronèse, peintre des festins et des banquets, du collectif et de l'individuel, joue-t-il avec la symbolique et la représentation dans Les Noces de Cana, pour une réflexion identique sur le Temps – « l'installation dans l'espace de l'instant précis où la tragédie est en train de basculer ». Et pour saisir l'instant, Le Caravage, usant juste de l'ombre et de la lumière, ira plus loin encore.
N'oublions pas Le Tasse qui intègre la tragédie dans l'épopée et Monteverdi qui en fait l'opéra. Si la polyphonie s'élabore lentement au fond des monastères à partir du IXe siècle, le XVe verra son raffinement à son apogée. On sait combien le père de L'Orfeo contribua à l'évolution du madrigal pour en faire ensuite éclater les règles, au service de l'émotion (l'affetto), soit l'instabilité dans un art jusque-là en quête d'une perfection à l'image divine. De même que des reproductions nous remettent en mémoire des tableaux célèbres, le CD (48' 05'') accompagnant l'ouvrage vient illustrer la musique évoquée par des chapitres clairs et passionnants.
LB