Recherche
Chroniques
Philippe Gaubert
Symphonie en fa – Les chants de la mer – Concert en fa
Le flûtiste, chef d'orchestre et compositeur français Philippe Gaubert (1875-1941) est surtout connu pour ses quelques pages de musique de chambre avec flûte, instrument dont il fut le plus illustre interprète du XXe siècle. Si plusieurs enregistrements relativement récents nous ont fait connaître les œuvres finement ciselées de ce répertoire, il ne va pas de même vis-à-vis de ses compositions pour orchestre qui sont restées dans l'ombre.
Premier Prix de flûte à quinze ans, Prix de Fugue en 1903, Second Grand Prix de Rome en 1905, si sa carrière de chef d'orchestre n'a pas permis à Gaubert d'écrire plus, il a quand même composé la Rhapsodie sur des thèmes populaires (1909), Madrigal (1910), le Poème pastoral (1910), Le Cortège d'Amphitrite (1911), Fresques (1923), Esquisses (1925), Les Chants de la mer (1929), Au Pays basque (1931), Les Chants de la terre (1931), Concert en fa (1932), Les Inscriptions pour les portes de la ville (1934), Symphonie en fa (1936), Le Poème des chants et des villages (1939), pour ne citer que les œuvres orchestrales.
Gaubert fut l'un des premiers chefs français à graver de nombreux disques selon le procédé microphonique, notamment avec son Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, aux destinées duquel il présida de 1919 à 1938. Mais il ne laissa que peu d'enregistrements de ses propres œuvres, et l'auteur de ces lignes se rappellera toujours la profonde impression ressentie à l'écoute, il y a pas mal de temps, des gravures 78 tours Columbia des Chants de la mer par l'auteur – on retrouvera d'ailleurs ces admirables enregistrements historiques en un superbe CD Alpha (Alpha 801). Ces non moins admirables Chants de la mer connaissent enfin ici leur premier enregistrement actuel. Comme l'évoque judicieusement Harry Halbreich dans ses notes exhaustives, la musique de Philippe Gaubert, tout en n'étant « ni révolutionnaire ni rétrograde », est typiquement française par l'élégance et le raffinement d'une écriture au généreux lyrisme à mi-chemin entre Debussy (utilisation fréquente de la gamme par tons entiers) et Dukas.
La Symphonie en fa, qui constitue l'essentiel de ce disque, est de structure traditionnelle en quatre mouvements. L'Allegretto initial de forme-sonate libre est précédé d'une calme introduction évoquant les lentes et poétiques méditations de Vaughan Williams, ou peut-être même de Chostakovitch, mais sans l'inquiétude menaçante de ce dernier. L'Adagio qui suit est à coup sûr le cœur expressif de l'œuvre, pure merveille de rêveuse poésie ponctuée de solos de violon qui sont de tendres caresses, et desquels il convient de souligner l'exceptionnelle beauté d'exécution du Konzertmeister Philippe Koch : l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg, dirigé avec chaleureuse affection par Marc Soustrot, peut s'enorgueillir d'avoir en ses rangs un tel soliste qui fait vraiment honneur à la lignée légendaire liégeoise à laquelle il appartient. Le Scherzo, avec son esprit de farandole, et le Finale alternant choral et chant agreste, ne sont pas sans évoquer la belle personnalité d'Albéric Magnard. La Symphonie en fa fut créée sous la direction de l'auteur le 8 novembre 1936.
Même s'ils sont de format plus modeste, on ne peut considérer ni Les Chants de la mer ni le Concert en fa comme de simples compléments au disque de la Symphonie. Antérieurs de sept ans à cette dernière, Les Chants de la mer ne peuvent renier l'admiration de Gaubert envers Debussy, auteur de La Mer. Mais ils évoquent aussi – et peut-être plus encore – la somptueuse partitionThe Sea (1911) du Britannique Frank Bridge (1879-1941). À l'instar de son illustre prédécesseur français, Gaubert gratifie chaque partie de son triptyque de sous-titres évocateurs : Chants et parfums, mer colorée ; La Ronde sur la falaise ; Là-bas, très loin, sur la mer. L'interprétation magistrale de Marc Soustrot et sa phalange rend pleine justice à cette page haute en couleurs : ses tempos plus détendus par rapport à ceux du compositeur – ce dernier était tributaire de la durée limitée des 78 tours – permettent de goûter sans retenue aux saveurs presque matérielles de la partition, comme si les embruns nous fouettaient le visage.
Le Concert en fa, dédié affectueusement par Gaubert aux musiciens de son orchestre, est évidemment d'esprit plus classique. Également en trois parties concises, il met en évidence à la fois la richesse et la clarté d'écriture qui témoignent des plus pures réussites du néo-classicisme, avec dans les deux premiers mouvements un vibrant hommage à Gabriel Fauré, maître que Gaubert a souvent dirigé. Le Finale Vif et léger, par contre, prend congé des charmes fauréens par son côté échevelé, débridé, d'un humour espiègle auquel on ne peut se dérober. Manifestement, Gaubert voulait amuser les membres de son orchestre, et lui aussi par la même occasion. Il semble d'ailleurs que cette contagion ait gagné les musiciens de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg, à l'audition de l'exécution pleine de fougue de cette sorte de bacchanale qui conclut le disque de manière éblouissante.
Il est à espérer que cette superbe réussite rencontrera la pleine faveur des mélomanes, afin que Timpani puisse nous régaler d'autres CD consacrés aux œuvres de Philippe Gaubert. Comme déjà évoqué précédemment, il y a matière !
MT