Chroniques

par michel tibbaut

Philippe Gaubert
Le Chevalier et la Damoiselle

1 CD Timpani (2010)
1C1175
Philippe Gaubert | Le Chevalier et la Damoiselle

Timpani nous avait déjà régalés d'un disque Gaubert consacré essentiellement à sa Symphonie en fa [lire notre critique du CD]et qui nous laissait ardemment aspirer à d'autres publications consacrées à cet admirable musicien. Voilà notre attente comblée de manière éblouissante.

Des esprits bien pensants parlent souvent avec une certaine condescendance, et même un certain dédain – l'une et l'autre d'ailleurs d'une bien médiocre mesquinerie – d'une musique de chef d'orchestre, s'agissant de la création de grands musiciens qui se sont surtout distingués dans l'art de la direction. Évidemment, voilà une fausse appréciation venant de cancres : il fut un temps où la formation musicale était bien plus complète et poussée qu'actuellement, où des interprètes de génie étaient également d'excellents compositeurs. Mettrions-nous en doute la qualité des œuvres des chefs d'orchestre Gustav Mahler ou Richard Strauss ?

Le problème est que l'activité des chefs laissait souvent peu de temps à l'écriture et que leur production en ce domaine était, par la force des choses, limitée. Mais c'est un peu court d'esprit d'associer quantité limitée et qualité limitée ! Si certains chefs compositeurs ont acquis une grande renommée dans l'une et l'autre fonction (outre Mahler et Strauss déjà cités, on pense à Bernstein ou Boulez), d'autres, plus nombreux, avantagèrent l'une par rapport à l'autre – et pas nécessairement selon leur désir – tels que Weingartner, Furtwängler, Klemperer, Doráti, Goossens, Kubelík, Markevitch ou, chez les Français, Caplet, Inghelbrecht, Messager, Paray, Pierné, Rabaud, Rosenthal et Philippe Gaubert (1875-1941) qui fut également flûtiste d'exception.

Dans ses judicieuses notes accompagnant le disque, Harry Halbreich précise à juste titre : « …il avait été autant et même davantage un compositeur qui dirigeait qu'un chef qui composait, comparable en cela à son aîné et collègue Gabriel Pierné… ». De fait, Gaubert offrit au monde musical au moins deux chefs-d'œuvre : d'abord la Symphonie en fa de 1936, ensuite le ballet de 1941 Le Chevalier et la Damoiselle, ici proposé, qui peut être considéré comme son testament musical. Plus long que Daphnis et Chloé de Ravel, Le Chevalier et la Damoiselle s'apparente surtout au délicieux Cydalise et le Chèvre-pied de Pierné, non seulement quant à sa durée, mais aussi par une certaine évocation imaginaire et imagée des temps anciens, en une esthétique musicale relativement proche l'une de l'autre.

Le résultat est véritablement enchanteur, grâce à une musique chatoyante en parfaite adéquation avec ce conte de fées de princesse et son chevalier d'un Moyen Âge de fantaisie. Citons encore Harry Halbreich qui qualifie ce grand ballet symphonique français de « …régal pour le cœur, l'esprit et les sens, au centre même de ce que la tradition de la musique française possède de plus précieux ».

À ce niveau de la chronique, il convient de souligner l'exceptionnelle beauté de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg sous la baguette chaleureuse et inspirée du grand chef français Marc Soustrot. Les interventions solistes sont superbes, que ce soit trompette, flûte, hautbois, clarinette, violoncelle, alto et, surtout, le violon qui se déploie notamment en un vrai mouvement de concerto dans la Danse du Chevalier. Une fois de plus, le Konzertmeister Philippe Koch fait honneur non seulement à sa famille (et surtout à l'illustre Henri Koch) mais également à la fabuleuse École Liégeoise du violon.

Il est absolument navrant que Philippe Gaubert, qui fêta ses soixante-deux ans début juillet 1941, ne put savourer plus longuement le triomphe de son ballet créé à l'Opéra de Paris à l'occasion de son anniversaire, puisqu'il décéda d'une congestion cérébrale le 8 du même mois. Sans doute l'attitude égocentrique du danseur et chorégraphe Serge Lifar, son collaborateur qui en accapara tout le succès sans jamais associer le nom du compositeur, y fut pour quelque chose… Fort heureusement, le disque vient enfin de rétablir, à titre posthume, l'ordre juste des valeurs, alors que la chorégraphie, jusqu'à preuve du contraire, n'est plus qu'un souvenir.

MT