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Chroniques
Philippe Gumplowicz
Les résonances de l’ombre – Musique et identités : de Wagner au jazz
C’est à la fois cet attachement intime de l’homme aux musiques qui lui rappellent sa naissance, origines géographique et sociale, et le pouvoir de certaines musiques à servir les idéologies que Philippe Gumplowicz interroge. Du moins le préambule de son essai le laisse-t-il plus ou moins présumer… mais il s’agira moins de l’identification d’un peuple à tel chant ou tel compositeur que de la hargne de quelques personnages ou groupes à salir la musique d’un ou de plusieurs êtres, mais encore de l’élan à détourner telle production pour lui faire dire ce que l’on voudra. On l’a bien compris : l’auteur des identités culturelles imaginaires, des nationalismes en musiques, des aversions bien connues des dérives politiques, etc.
Après avoir abordé le phénomène qui fait dire à Carl Dahlhaus « l’âme d’un peuple réside dans sa musique », Philippe Gumplowicz présente avec précision et analyse scrupuleusement les différentes versions du Ça ira ! révolutionnaire français, puis se penche avec la même rigueur sur La Marseillaise avant même qu’elle ne devint hymne national, sur l’Hativka qui, traduisant l’aspiration juive au retour en sa terre d’origine, scande depuis quatre-vingt ans chaque événement sioniste, enfin sur le tristement célèbre Horst Wessel Lied des chemises brunes.
La suite semble vouloir se perdre dans des particularismes assez mal compris. Ainsi est-il d’abord fait amalgame entre les déclarations antisémites de Richard Wagner et l’aversion raciste d’Arthur de Gobineau. Si l’exploration minutieuse de l’antisémitisme des milieux socialistes français du XIXe siècle est passionnante, une insinuation vient ternir cette étude. « Faut-il voir dans la philippique wagnérienne la conséquence d’un sentiment de concurrence exacerbée par l’humiliation et la rancune ? Un effet collatéral des premières morsures de l’exil ? Beaucoup de wagnériens ont besoin de cette minorisation rassurante ». À partir de là, rien de va plus, Gumplowicz en appelant non sans mauvaise foi à la mauvaise foi présumée de mélomanes qui, selon lui, ne peuvent aimer la musique de Wagner que pour de mauvaises raisons. De là à déclarer religion le wagnérisme et à démontrer qu’il était voué à sa récupération par les sons-et-lumières du IIIe Reich, il n’y a qu’un pas… de là à vouloir coûte que coûte prouver la supériorité de la musique de Mendelssohn sur celle de Wagner et les soi-disant jalousie et peur de Wagner à cet égard, un autre pas encore, quand bien même la question n’est pas là du tout. Alors même que l’ouvrage se prétend objectif, le lecteur pénètre, dès lors, dans l’expression d’un communautarisme forcené qui discrédite le cœur du livre.
À observer qu’une cinquantaine de pages est accordée à l’étude de la haine du Juif en musique au XIXe siècle et qu’à peine sept suffisent à brosser celle du Nègre (in Arthur de Gobineau et la musique des Noirs), on se prend à douter du sérieux avec lequel l’auteur a investi son sujet. Quand ensuite l’approche des chansons de l’entre-deux-guerres se penche principalement sur ce qu’auront à vivre les nôtres, on finit par se poser la question : quel est véritablement le sujet de cet ouvrage ? Personnellement je ne partage ni ce goût du désastre ni cet appétit de l’accusation : j’abandonne.
JO