Chroniques

par étienne müller

Philippe Hersant
pièces pour chœur

1 CD Virgin Classics (2004)
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Philippe Hersant | pièces pour chœur

Pour mémoire, le festival Présences 2004 s'articulait autour de la personnalité attachante du compositeur français d'origine romaine, le cosmopolite et polymorphe Philippe Hersant. Ce caméléon atypique assimile et restitue avec humilité les courants esthétiques les plus divers : français, allemand (couleurs comparables à celles de Schreker, dans Paysage avec Ruines) et britannique (ses Illuminations pour chœur d'hommes et quatre cors sont à coup sûr un clin d'œil à Britten), voire tchèques. Sa Missa brevis – un des sommets de son corpus, maintenant riche de quelque cinquante opus – est un « miroir » de la Messe de campagne de Martinů. Et, bien qu'il zigzague entre romantisme tardif, post-expressionnisme et néoclassicisme décalé (écoutez son Château des Carpates), l'homme discret par nature, introverti, à la silhouette d'éternel adolescent dégingandé, reste fidèle à lui-même.

Libre, indépendant, récusant toute mode ou approche dogmatique de son Art, il cultive un syncrétisme singulier. Le présent disque reflète les recherches stylistiques de ce poète des sons. Fuyant l'élitisme et le cloisonnement des genres, cet artisan au sens noble du terme, tel le regretté Jean-Louis Florentz, peut s'enorgueillir de toucher des publics insoupçonnés. À l'instar de Guillaume Connesson, Nicolas Bacri, Thierry Pécou, etc., nouvelle génération de musiciens doués et inventifs qui n'hésitent pas à frayer à leur tour avec la tonalité et la consonance, réhabilitant même la mélodie. Hersant aurait-il fait sien le credo de son jeune confrère Eric Tanguy : « je ne veux pas communiquer dans une tour d'ivoire, je compose la musique qui me traverse, j'écris ce qui est en moi ; je m'adresse à chacun de mes auditeurs, c'est ma raison de vivre » ? En quelque sorte, la belle maxime de Lily Laskine : « préférer les gens aux notes »…

D'un artiste sincère, le parcours d'Hersant se nourrit également de rencontres avec des musiciens attachants et rigoureux : en l'occurrence, l'extraordinaire chœur de chambre Les Éléments de Joël Suhubiette, lequel aime taquiner la musique contemporaine, et dont la pureté minérale n'est plus à louer. Sa fougue interprétative rend cet album inoubliable. Ainsi les Poèmes chinois, partition vif-argent, font-ils écho aux ascétiques Rechants de Messiaen, mâtinés d'accents proches de Janáček (un compositeur emblématique pour Hersant). On songe entre autres à l'élégie pour sa fille défunte Olga, page d'introspection douloureuse empreinte d'une piété sereine et apaisée (plage 2). Par moments fugaces, la luminosité immatérielle de la cantate Figure humaine de Poulenc est proche ! Chez ce mélodiste né, les frontières temporelles sont aussi abolies.

Sommet de la présente gravure, le somptueux chœur Der Wanderer (plage 9, qui donne son titre au CD) est bien sûr un hommage à Schubert. Cette pièce lunaire au lyrisme puissant tient de la flânerie et distille une atmosphère ludique, conviviale. Elle trahit aussi une inspiration puisée dans Reger (le Psaume 100 notamment) sans ressembler à un habile collage ou un savant exercice d'imitation. Philippe Hersant, par-delà l'évident syncrétisme précité et l'orchestration hors pair, clame haut et fort sa dette envers le passé. Cela ne l'empêche pas de développer une écriture personnelle : accessible, simple mais jamais simpliste. Voilà qui se rapproche de l'atmosphère apaisée, panthéiste du long-métrage de Renoir, Le Fleuve. Au plan polyphonique, on décèle encore, au-delà du titre lui-même, l'influence indéniable de Busoni – lequel se faufile par intermittences dans le foisonnant tissu choral. Les mânes de l'auteur du Doktor Faust sont ici comme tangibles : par exemple, le cinquième mouvement du dantesque Concerto pour piano.

Le Psaume CXXX quant à lui se situe entre un madrigal atemporel aux lignes épurées et une douce méditation aux mélismes diaprés. Il évoque Roussel, voire le Psaume 47 de Florent Schmitt. Saluons une nouvelle fois l'atout majeur de ce disque, les solistes troubadours des Éléments qui planent, tournoient et gravitent autour de l'étrange matière orchestrale, vaporeuse et translucide. La fin de l'œuvre est superbe : un moment de grâce suspendue, qui transforme cette cantate ésotérique en authentique fragment d'éternité. A walk to paradise garden ! Assurément, une œuvre exaltante émanant d'un « homme authentique », qui se hisse au niveau de Paysage avec ruines (mezzo et orchestre), autre pièce intense qu'on a déjà entendue à Présences et qui en prolonge le souvenir.

EM