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Chroniques
Philippe Lesage
Anna Magdalena Bach et l’entourage féminin de Jean-Sébastien Bach
Quand débute l’ouvrage de Lesage – à Ohrdruf, en 1696 –, Johann Sebastian Bach a onze ans et, comme tant d’autres compositeurs avant et après lui (Purcell, Mahler, Ropartz, etc.), a vu disparaître nombre de ses proches : sa sœur Johanna Juditha (six ans), son frère Johann Balthasar (dix-neuf ans), son oncle Johann Christoph, sa mère Maria Elisabetha (1694) puis Johann Ambrosius (1695), son père remarié à une femme qu’il laissera veuve pour la troisième fois. Avec un frère plus jeune, il est recueilli par un plus âgé, Johann Christoph, organiste de l’église Saint-Michel marié à Johanna Dorothea, l’Ersatzmutter (mère de substitution). Fait notable pour l’époque, huit sur neuf des propres enfants du couple atteindront l’âge adulte ; cinq seront des musiciens accomplis.
Quelques années plus tard, formé à la Micheaelisschule de Lunebourg avant de devenir cantor au lycée d’Ohrdruf, Elias Herda oriente le jeune Bach vers l’école de sa jeunesse, ouverte aux apprentis musiciens sans ressources. En 1903, le natif d’Eisenach devient organiste à Armstadt. Il s’y rapproche de Maria Barbara Bach, cousine et voisine à laquelle il est unit le 17 octobre 1707. Nommé organiste à la cour ducale de Weimar (1708), le jeune marié quitte un poste à Mühlhausen et voit naître Catherina Dorothea, le premier des sept enfants que lui donne Maria Barbara avant de mourir soudainement, en juillet 1720. Devenu entre temps Cappelmeister à la cour de Coethen, avec quatre enfants à charge, Bach se remarie le 3 décembre 1721.
Héroïne de l’ouvrage qui explore sa vie et sa personnalité, Anna Magdalena Winckle (1701-1760) est fille de trompettiste – trois de ses sœurs aînées en épouseront – et Höfsängerin (cantatrice de cour) entrée au service du prince Leopold sur recommandation d’un homme de seize ans son aîné dont elle partagera l'existence jusqu’à sa mort, en 1750. Bach et sa Eheliebeste (épouse bien-aimée) vivent de musique autant que d’amour jusqu’à l’élection comme cantor de Saint-Thomas, à Leipzig, en avril 1723. Johann Sebastian va s’y nourrir spirituellement, mais cette ville de commerce et de foire, sans prince à sa tête, dont les églises ne permettent pas aux voix féminines de résonner, voit la transformation de la soliste en Hausmutter (maitresse de maison, mère de famille).
Dans un foyer où se succèdent les naissances et les deuils – six des treize enfants du couple ne fêteraient jamais leur cinquième anniversaire –, interdite de représentation publique mais pourvue d’un capital artistique à exploiter, Frau Bachin aide à la copie des nombreuses partitions que son mari doit fournir au long de la vie liturgique – le papier est cher et il faut de l’adresse pour bien utiliser le porte-plume à cinq becs ! Au quotidien ou à l’occasion, d’autres femmes soutiennent celui qui souffre des tracasseries des autorités municipales : Christiane Mariane von Ziegler, « libre dans son discours » et librettiste éphémère de neuf cantates (avril-mai 1725), La Bordoni en visite, une fille aînée des plus discrète, une cadette qui s’éteindrait au XIXe siècle, etc.
Souvent cité au fil des notes, Gilles Cantagrel félicite à juste titre Lesage qui a du « collecter les plus infimes morceaux […] permettant, au prix d’une infinie patience et d’une parfaite rigueur, de reconstituer peu à peu les éléments d’une mosaïque disparue ». En effet, le germaniste n’a laissé échapper aucun document pour réussir son projet : autobiographie de Carl Philipp Emanuel, actes de baptême, second Clavierbüchlein (quarante-deux pièces notées sur plus de deux décennies), correspondance du bon cousin de Schweinfurt, demande d’aide sociale pour pallier le « lamentable état de veuve » ou simple cahier d’écolier. Des hypothèses ainsi que quelques dialogues imaginaires complètent cette évocation historique pour la rendre plus vivante encore.
LB