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Chroniques
Pierre-Adrien Charpy
œuvres variées
En cherchant à mieux connaître Pierre-Adrien Charpy (né en 1972), dont paraît cette monographie dans la collection Avec qu’il initia chez Cypres, on trouve moins d’informations que de souhaits : celui de se rapprocher de ses interprètes – lui-même est organiste, et sa femme chanteuse –, ou celui d’entretenir le dialogue entre héritage et invention, entre art musical et quelques autres (danse, vidéo). On trouve aussi cette analyse signée Didier Lamare : « La stratification, le travail des profondeurs sont sa manière d’être compositeur, de renouveler les jalons formels, d’employer les ressources de la contrainte créative ».
Enregistré en 2016 et 2017 dans différentes villes d’Europe (Aix-en-Provence, Bruxelles, Marseille, Pigna), ce programme propose sept œuvres, jouées en majorité par leurs commanditaires. Parmi elles, trois sont des soli avec électronique. Créé par le guitariste Thomas Keck, Nekamá (Paris, 2010) emprunte son nom à un poème hébreux de Zvi Atzmon, scientifique et poète, qu’on traduira par Vengeance. On y repère trois sections, tour à tour miroitante, trépidante, puis saccadée. Autre écrivain, Albert Cohen inspire une pièce d’un quart d’heure au Méditerranéen. Dans Vivante morte éblouie (Manosque, 2011), Raphaële Kennedy livre des mots pleins de sensualité extraits de Belle du seigneur (1968) – « Ô débuts, deux inconnus soudain merveilleusement se connaissant, lèvres en labeur, langues téméraires… » Un léger ressac ouvre la pièce, secondé par une pulsation discrète de la percussion qui sous-tend la première partie. Une pause vocale, emplie de pluie et de volatiles, annonce la seconde, d’un calme mêlé d’inquiétude.
Sur l’abîme (Acre, 2015) s’avère la pièce la plus récente, jouée par la harpiste Anaïs Gaudemard [lire nos chroniques du 17 novembre 2016 et du 11 juillet 2018] confrontée à l’électronique en temps réel ainsi qu’à des échantillons préenregistrés. Si André Caplet s’inspirait d’une nouvelle de Poe pour une pièce réunissant harpe et quatuor à cordes (Conte fantastique, 1923) [lire notre critique du CD], l’on se croirait ici chez Lovecraft tant les sons viennent de loin pour accabler d’angoisse. Il nous étonne à peine qu’une fosse sous-marine fort profonde, en mer ionienne, ait servi d’impulsion au créateur.
Poursuivons avec deux duos dont le plus ancien, Contes de la pluie et du soleil (Poitiers, 2001), réunit violoncelle et piano. Ici, Anthony Leroy et Sandra Moubarak passent en revue les étagères d’une discothèque, musique savante par ci (Debussy, Ligeti, Satie, etc.), musique populaire par là (tango, folklore d’Europe de l’Est ou d’Afrique, etc.). Hommage au madrigal pour sa part, Ce corps (Les Pennes-Mirabeau, 2003) fait dialoguer la voix de Raphaële Kennedy et la guitare de Marylise Florid. Le dépouillement des cordes sublime la pureté du soprano, une diction exemplaire de la poésie d’Andrée Chédid.
Commande de l’ensemble Solistes XXI, My’s soul’s at liberty (Paris, 2009) convoque six voix mixtes et les mots d’Emily Dickinson. Raphaële Kennedy, Céline Boucard (soprano), Els Janssens (alto), Vincent Bouchot (ténor), Jean-Sébastien Nicolas (baryton) et Jean-Christophe Jacques (basse) y chantent cinq strophes où s’équilibrent avec bonheur lyrisme, parlando, murmure, scansion, etc. « Figure bienveillante », au dire de Pierre-Adrien Charpy, Rachid Safir est, bien sûr, à la tête de l’ensemble qu’il a fondé [lire nos chroniques du 14 janvier 2013, du 13 janvier 2010 et du 5 février 2009].
Enfin, À nos ancêtres, à nos enfants (Ronchamp, 2004) marque une rencontre du présent et du passé (Merula, Monteverdi, Sances), un échange entre l’Afrique et l’Europe incarné par le Burkinabé Moussa Hema (composition, voix, n’goni, balafon), Sylvie Moquet (basse de viole), Yannick Varlet (clavecin), Raphaële Kennedy, et le compositeur lui-même à l’orgue. Pour reprendre l’expression qu’emploie Philippe Leroux à propos de son Quid sit Musicus ? [lire notre critique du CD], il s’agit d’une longue « tresse musicale » de soixante minutes, aux fils souvent gris-bleu.
LB