Chroniques

par laurent bergnach

Pierre-André Valade et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Filidei – Lazkano – Srnka

1 CD Printemps des Arts de Monte-Carlo (2018)
PRI 023
Pierre-André Valade joue trois créations mondiales : Filidei, Lazkano et Srnka

Donner une image durable du concert, événement par nature éphémère, voilà le souhait de Marc Monnet, directeur artistique du festival Printemps des Arts de Monte-Carlo, en créant une collection de CD. Aujourd’hui, celle-ci fait la part belle à une génération apparue à la veille du dernier quart du XXe siècle, et rend pérennes trois commandes offertes au public de l’Auditorium Rainier III (Monaco), le 2 avril 2017. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice pour leur création mondiale, Pierre-André Valade dirige avec aisance, à l’heure de les enregistrer, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.

L’aîné du programme, le Basque espagnol Ramon Lazkano (né en 1968) est bien connu des mélomanes, notamment pour son cycle chambriste Le laboratoire des craies, inspiré par l’œuvre du sculpteur Jorge Oteiza qui l’occupe de 2001 à 2011 [sur le mini-cycle Egan, lire nos chroniques du 13 janvier 2011 et 24 novembre 2007]. Marqué par la rencontre de Blanquart et Grisey à son arrivée à Paris, ce curieux se méfie de l’automatisme et confie : « on n’est vraiment libre que quand on est dans la difficulté de savoir ce qu’on veut : si on sait déjà, on n’est pas libre, on est déjà domestiqué » (notice de Corinne Schneider). Pour cette musicologue, Hondar (qui signifie sable, ou restes en basque) offre un travail de l’orchestre à travers le prisme de la réminiscence – « de sa puissance il ne reste qu’un frémissement ; de ses sonorités pleines, qu’un écho lointain ». Durant vingt minutes, Lazkano maintient l’attention avec des procédés assez attendus, alternant climats de tension touffue (piano, percussions, etc.) et d’autres plus dépouillés mais incontestablement habités.

Pisan d’origine, Francesco Filidei (né en 1973) est lui aussi venu étudier à Paris, après un début de formation à Florence. Son catalogue comprend une soixantaine d’opus, dont certains mettent en avant une figure tragique brisée par le Pouvoir, comme celle de l’anarchiste Franco Serantini ou celle du philosophe dominicain Giordano Bruno [lire nos chroniques du 25 janvier 2011 et du 19 avril 2016]. Dédié à la mémoire de la pianiste Eleonora Kojucharov, Sull’essere angeli s’inspire des photographies de Francesca Woodman (1958-1981), jeune Américaine qui s’est défenestré à New York en nous léguant un art étrange et poétique – mise en scène de son corps nu, dans des lieux quasi abandonnés. Au début d’une demi-heure malheureusement interminable, flûte et accordéon installent un certain mystère éthéré qui gagne en ampleur et épaisseur. Malgré la virtuosité habituelle de Mario Caroli, on peine à s’intéresser à différents climats, planants ou lugubres, traversés d’échos folkloriques ou animaliers.

Après des études à Prague et à Berlin, Miroslav Srnka (né en 1975), comme ses aînés, a rejoint la capitale française. Cette dernière peut s’enorgueillir de la création mondiale de My life without me [lire notre chronique du 28 novembre 2008], mais force est de constater que le jeune Tchèque a surtout les honneurs des scènes étrangères – pensons notamment au festival DIALOGE, à Salzbourg, en décembre 2017 [lire nos chroniques des épisodes 1, 2, 3, 4, 5 et 6]. Depuis peu, ses questionnements sur attente, mémoire et mouvance trouvent des réponses dans des pièces mi-longues, à l’instar de Move 3 qui joue beaucoup sur la répétition pour en faire naître autre chose qu’une redite. Sans perdre notre attention, le compositeur surprend par des passages inattendus du calme à la fébrilité, de l’opaque au transparent, offrant un ersatz solistique comme suite à une volute polyphonique. Cela serait les bases du métier si n’était aussi soignée la richesse timbrique de la moindre impulsion. Move 3 est une œuvre séduisante et solide, de celle qu’on réécoute volontiers sans que s’en affaiblisse le charme.

LB