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Chroniques
Pierre Boulez
œuvres variées
Désireux de faire entrer la création artistique là où dominaient les sciences, Michel Foucault (1926-1984) propose l’élection de Pierre Boulez au Collège de France, où lui-même vulgarise l’histoire des systèmes de pensée. Elle a lieu en mars 1975, ouvrant sur plusieurs années d’enseignement (1978-1988). Dès 1989, Christian Bourgois édite une partie de ces cours dans Jalons (pour une décennie), ouvrage auquel un ancien texte du philosophe sert de préface, publié un an et demi avant sa mort (L’écran traversé, in Le Nouvel Observateur, 21 octobre 1982). Revenant sur le parcours du compositeur, l’auteur de L’ordre du discours affirme :
« Souvent un musicien va à la peinture, un peintre à la poésie, un dramaturge à la musique par le relais d’une figure englobante et au travers d’une esthétique dont la fonction est d’universaliser : romantisme, expressionnisme, etc. Boulez allait directement d’un point à un autre, d’une expérience à une autre, en fonction de ce qui semblait être non pas une parenté idéale, mais la nécessité d’une conjoncture. ».
Pour illustrer son propos, Foucault cite alors « les deux Marteau sans maître », celui de Char et celui de Boulez, qui ne recèlent ni commune esthétique, ni vision du monde analogue. Par ce recueil paru en 1934, le poète prend ses distances avec un surréalisme « mort du sectarisme imbécile de ses adeptes » – ainsi qu’il l’écrit à Artaud –, après en avoir partagé les aventures éditoriales et bagarreuses. Vingt ans plus tard, le musicien trentenaire s’en empare pour une œuvre éponyme en neuf parties, convoquant une chanteuse et six instruments (Baden-Baden, 1955).
À la tête des Newyorkais de l’International Contemporary Ensemble (ICE), en septembre et novembre 2015, le bassoniste Pascal Gallois livre une version assez aride de cet hommage sans compromis à Schönberg, où s’affirme une ouverture aux musiques extra-européennes (guitare évoquant le koto, proximité de la flûte alto avec le shakuhachi). Cependant, le jeu est aussi fluide que rapide, renonçant à une entière radicalité. Forte d’une carrière entre baroque et contemporain [lire nos chroniques du 13 février 2010 et du 12 décembre 2007], Katalin Károlyi offre un mezzo moelleux, voire langoureux, qui enracine la pièce dans le rituel.
Selon Dominique Jameux (in Programme du Festival d'automne à Paris, 1981), Éclat (Los Angeles, 1965) recèle le brio d’un Ravel et amplifie une veine « hédoniste » inaugurée avec le septuor précédent. Dans ses leçons au Collège de France, Boulez s’y réfère pour évoquer un travail sur la perception musicale qui implique formes aléatoires et résonnances de différentes longueurs. Cette page réunit quinze instruments (piano, vibraphone, harpe, cymbalum, mandoline, etc.) et scintille au fil de climats contrastés, dix minutes durant.
Pièce pour clarinette et électronique dédiée à Luciano Berio, régulièrement enregistrée [lire notre critique du CD Nicolas Baldeyrou et Jérôme Comte], Dialogue de l’ombre double (Florence, 1985) fut adapté pour basson à la demande de Pascal Gallois (Paris, 1995). L’interprète évoque cette année où il répétait Sequenza XII de l’Italien et la seconde version du Dialogue, se décrivant comme un messager entre les deux amis, parlant à chacun de la pièce de l’autre. Dans cette nouvelle gravure investie avec une immuable virtuosité, on retrouve les qualités souhaitées par son concepteur : volubilité et flexibilité de timbres.
LB