Chroniques

par bertrand bolognesi

Pierre Boulez
Rituel in memorian Maderna – Notations – Figures-Doubles-Prismes

1 CD Naïve / Montaigne (2003)
MO 782163
Boulez | Rituel in memorian Maderna – Notations – Figures-Doubles-Prismes

Ce disque se fait l'écho d'un week-end autour de Pierre Boulez en quelques concerts et conférences que proposa l'Auditorium de Lyon à la mi-juin 2002. Sans doute devions-nous cette belle initiative à David Robertson qui fut longtemps directeur de l’Ensemble Intercontemporain et travailla à ce titre avec le maître, créant d’ailleurs ...Explosante-fixe... ou encore Sur Incises à Edimbourg en 1998. On se souvient que la première pièce citée avait fait l’objet d’un atelier présenté par David Robertson il y a quelques années, de même qu’un atelier-concert sur Le marteau sans maître à la Cité de la Musique début 1997. Cet avis autorisé menait les quelques jours de découverte ou d’approfondissement au côté de Andrew Gerzso, chercheur de toujours à l’Ircam et aujourd’hui directeur pédagogique, qui réalisa toutes les œuvres de Boulez faisant appel à la machine, et de Jean-Pierre Derrien, boulézien émérite qu’on ne présente plus. La manifestation lyonnaise continuait une tradition du pédagogue Boulez, enrichissant notre écoute de certaines clés.

Pierre Boulez composa Doubles en 1957, à une époque qu’il qualifie lui-même d’adolescence dans sa maîtrise de l’orchestre en tant que matériau compositionnel. Il reprit la partition après une dizaine d’années, l’enveloppant de deux mouvements, Figures et Prismes. L’orchestre y est distribué en cinq groupes qui ne suivent pas la disposition habituelle : deux groupes de cordes de chaque côté, les bois à gauche derrière, les cuivres à droite derrière, les contrebasses au fond, au centre, et deux postes de percussion en retrait, mordant sur les groupes 2 et 4. Cette géographie particulière témoigne d’une préoccupation déjà active chez le jeune compositeur qui trouvera à se satisfaire plus sereinement quelques vingt ans après dans Répons. On peut déjà parler d’une sorte de spatialisation acoustique, quelque chose qu’on pourrait dire de manuel.

L’œuvre s’articule sur de forts contrastes entre plages harmoniques statiques, dont par ailleurs on module le mètre, et heurts extrêmement rythmés et brutaux, se développant en six sections qui s’interpénètrent jusqu’à s’en trouver masquées. Une recherche d’effet particulier s’opère dans le passage des violons chinois à la sonorité métallique et peu stable, écrit sans flexibilité métrique, cette fois, qui se trouve développée ensuite dans l’orchestre aux vibraphone, célesta, xylophone, et trois harpes, créant une texture inattendue qui peu à peu détrame le violon chinois. Soudain c’est chaque point de la toile qui prend le devant de la scène au détriment de la toile elle-même. On est entré dans le procédé jusqu’à son moindre détail, jusqu’à la dislocation. Ceci implique que l’œuvre comprend en soi sa propre analyse, trait que l’on retrouve assez souvent chez le compositeur.

Après une section mélodique de cordes plutôt lyrique, très chambriste, on retrouve le statisme du début mais cette fois soutenu d’une inexorable régularité rythmique qui tend à tirer l’œuvre au delà d’elle-même, en ponctuant l’exécution par une sorte de pirouette brillante et preste qui en signale le caractère quasi inachevé.

L’interprétation qu’en font l’Orchestre National de Lyon et David Robertson distille une rare énergie, et se garde de rappeler la sonorité spécifique un peu âpre que l’on entend dans les enregistrements des années soixante à Darmstadt ou Donaueschingen. C'est une lecture plus distanciée, ménageant une sorte de respiration dans le déroulement de l’œuvre.

On sait que Pierre Boulez revient sans cesse sur les œuvres, qu'il les retravaille, les triture en se concentrant sur d'autres parties de leur organisme que celles qui avaient pu lui paraître essentielles à leur création. C'est le cas de Pli selon Pli, pour ne citer que ce célébrissime exemple, et des Notations, écrites en premier lieu pour piano dans l'immédiat après-guerre, et recomposées pour orchestre (1978-1998). Cinq d'entre elles sont à ce jour achevées, et l'on attend la livraison du cycle complet de douze pièces. L’ONL en grave ici une version puissante et claire; rien à voir avec la proposition lente et dramatique qu'en fit Myung-Whun Chung à Pleyel en septembre 2002. Elles brillent au contraire d'une dynamique fascinante, sans déroger à une énigmatique gravité parfois (Notations III).

Enfin, le programme de ce disque s'ouvre avec Rituel in memoriam Bruno Maderna composé en 1974-75, qui est plus une œuvre pour huit groupes chambristes qu'une partition pour grand orchestre. Je gage que cette galette restera parmi les meilleures de l'année...

BB