Recherche
Chroniques
Pierre Boulez
pièces pour piano – entretiens
Après s’être vu offrir une place de choix durant le XIXe romantique, le piano continue d’intéresser les artistes au siècle suivant, qu’ils explorent les territoires impressionnistes (Debussy, Ravel, Koechlin, Dupont, etc.) ou gomment les dernières traces de tonalité (Schönberg, etc.). Dans les années quarante, alors qu’il écrit ses premières compositions pour piano seul, Pierre Boulez tient forcément compte de ces deux héritages – saluant, chez le créateur de Pelléas, « un refus des hiérarchies harmoniques existantes comme données uniques du monde sonore » (in Encyclopédie de la musique, tome 1, 1958), et certaines des pièces du rénovateur viennois comme « parmi les plus extraordinaires réussites qui aient sonné sur un clavier » (tome 3, 1961).
Conservés à la Fondation Paul Sacher, les premiers essais de Boulez (Trois Psalmodies influencé par Messiaen, une toccata, un cycle de variations pour la main gauche, etc.) n’ont jamais été publiés. C’est donc Douze Notations (1945) qui ouvre son catalogue pianistique, dont l’originalité réside « dans l’extraordinaire variabilité du langage rythmique qui se mêle tout naturellement à la syntaxe dodécaphonique » (Robert Demecek). Sous les doigts de Dimitri Vassilakis, la clarté de l’œuvre est portée à son paroxysme. Si la brutalité de Fantasque, Modéré (1) secoue dès l’abord, l’équilibre des forces, voire la délicatesse sont également au rendez-vous – Doux et improvisé (5), Lointain, Calme (9), Scintillant (11).
Moins foisonnante, la Première Sonate (1946) parie sur la raréfaction et la concentration du matériau, tandis que la Deuxième (1948), classique d’apparence, démantèle bien sûr les traditions. La Troisième Sonate (échafaudée entre 1955 et 1963) est ici jouée dans la version la plus complète à ce jour : par rapport à la version d’Helfer (Astrée, 1986) ou de Jumpaanen (2005) [lire notre critique du CD], elle contient certains éléments retirés après la présentation à Darmstadt, en 1957. Ainsi qu’on visite une ville-labyrinthe muni d’un plan (l’image est de Boulez), mobilité rime avec ouverture pour le parcours choisi aujourd’hui : Sigle (Fragment d’Antiphonie), Trope (Commentaire – Glose – Texte – Parenthèse) et Constellation (Points I – Blocs I – Points II – Blocs II – Points III – Mélange).
Deux opus plus récents complètent ce programme : Incises (1994/2001), pièce de concours dont la version augmentée apparaît sur disque pour la première fois, et Une page d’éphéméride (2005) destinée à sensibiliser les jeunes pianistes à la musique de leur temps. Elles introduisent un deuxième CD qui propose un entretien avec le créateur de Repons, réalisé par Mirjam Wiesemann à l’Ircam, le 31 janvier 2011. Durant trois quarts d’heure, en allemand, ils évoquent des figures connues de l’univers boulézien (Artaud, Barrault, Cage, Char, Messiaen, Zappa) ainsi que débuts et projets dans l’art musical – « Je reviendrai peut-être au piano ».
Au mois de mai suivant, c’était au tour de Dimitri Vassilakis de s’entretenir avec la productrice allemande, au studio Cybele de Düsseldorf (troisième CD). On connaît bien l’interprète, né en Grèce en 1967, de par ses interventions au sein de l’Ensemble Intercontemporain ou au disque (Xenakis, Matalon, Ligeti, etc.). Durant près d’une heure, le pianiste s’exprime sur sa relation avec l’instrument (vocation, engouement pour Chopin à l’adolescence, premiers concerts et auditions, etc.), mais surtout sur la création en général et l’œuvre de Boulez en particulier – qu’il vient de servir avec aisance et fluidité.
LB