Chroniques

par laurent bergnach

Pierre Gaveaux
Léonore ou L’amour conjugal

1 DVD Naxos (2018)
2.110591
Ryan Brown joue Léonore, ou L'amour conjugal (1798), de Pierre Gaveaux

C’est comme chanteur que Pierre Gaveaux (1761-1825) perfectionne sa connaissance de l’art musical, d’abord dans la maîtrise de la cathédrale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse de Béziers – sa ville natale –, puis dans celle de la basilique Saint-Seurin de Bordeaux, comme ténor. Dans cette dernière, il reçoit l’enseignement du compositeur allemand Franz Xaver Beck, héritier de l’école de Mannheim, qui en joue l’orgue depuis fin 1774. Gaveaux passe alors des lieux consacrés aux théâtres profanes – une initiative qui lui sauverait peut-être la vie, à la veille de la Révolution nationale –, quittant Bordeaux pour Paris, via Montpellier. Dans la dernière décennie du siècle, il participe aux créations de Cherubini – Lodoïska (1791), Médée (1797) –, à des parodies d’opéras italiens, et fait entendre son propre travail. Le 7 mars 1792 est présenté L’amour filial, opéra en un acte pourvu plus tard d’autres titres ou sous-titres (Les deux invalides, La jambe de bois, etc.), signé du « Citoyen Gaveaux, auteur et acteur du Théâtre de la Rue Feydeau ». On lui doit d’autres ouvrages tels L’échelle de soie (1808) et Léonore ou L’amour conjugal, dont Rossini et Beethoven s’inspireront.

Si l’on connaît bien Fidelio (Vienne, 1804/1814) – qui ouvre la nouvelle saison de l’Opéra Comique [lire notre chronique du 25 septembre 2021] –, à défaut des versions italiennes qu’en firent Ferdinando Paër (Dresde, 1804) puis Giovanni Simone Mayr (Padoue, 1805), l’argument de Léonore est sans surprise. Travestie en jeune homme, une épouse gagne la confiance d’un geôlier pour délivrer son mari, injustement emprisonné pour raison d’État. Cet opéra-comique en deux actes voit le jour au Théâtre Feydeau, le 19 février 1798. Il repose sur un livret de Jean-Nicolas Bouilly, ancien avocat qui multiplierait les collaborations lyriques durant trois décennies (Grétry, Isouard, Méhul, Plantade, etc.). Comme le fait remarquer la musicologue Julia Doe dans la notice du DVD, les scènes de prison abondent dans les ouvrages de cette période, avant même l’épisode de La Terreur (1793-1794) – chez Pierre-Alexandre Monsigny (Le déserteur, 1769), Nicolas Dalayrac (Raoul, sire de Créqui, 1789), etc. –, mais Bouilly se distingue en présentant cette fiction comme « fait historique espagnol ».

Naxos propose une rareté avec cette représentation new-yorkaise d’une heure et demie, filmée le 23 février 2017 au Gerald W. Lynch Theater, John Jay College. Par des moyens très simples, Laurence Mongeau (décor et costumes) collabore avec Oriol Tomas pour faire exister l’univers de Marceline (une table pour repasser, une corde à linge) ou l’épisode autour de la citerne.

Une équipe canadienne s’y fait entendre, dont les soprani Kimy McLaren (rôle-titre), d’une puissante maîtrise [lire nos chroniques de Die Walküre et du Cid], et Pascale Beaudin (Marceline), au timbre onctueux et à la présence attachante. Fort de nombreux concerts avec le Studio de Musique Ancienne de Montréal, Jean-Michel Richer (Florestan) offre un ténor sain et une diction rigoureuse [lire notre chronique de L’heure espagnole], à l’instar de Keven Geddes (Jacquino). Avec son ample basse, Tomislav Lavoie (Roc) domine également une distribution que complètent, dans les rôles secondaires, Alexandre Sylvestre (Dom Fernand), tendrement sonore, et Dominique Côté (Pizare). Le Chœur est lui aussi excellent, tout comme Ryan Brown à la tête de l’ensemble Opera Lafayette qu’il a créé en 1995 [lire nos chroniques de Lalla Roukh et des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour]. Sa lecture souple et bien articulée a quelque chose d’enlevé qui convient au mélange de parler populaire et de sentiments nobles caractéristique de cet ouvrage.

LB