Chroniques

par bertrand bolognesi

Pierre-René Serna
La zarzuela romantique

bleu nuit éditeur (2022) 176 pages
ISBN 978-2-35884-107-8
Pierre-René Serna initie le mélomane à la zarzuela romantique

Dans la foulée de son Guide de la zarzuela, véritable somme sur ce genre parue chez le même éditeur il y a près de dix ans, Pierre-René Serna, dont avant tout l’on sait la grande passion berliozienne [lire notre chronique de son Berlioz de B à Z], revenait sur un sujet bien méconnu du mélomane français en zoomant sur sa première période, avec La zarzuela baroque qui gagna le libraire à l’automne 2019. En la fin de l’hiver dernier, Bleu Nuit Éditeur livrait la suite, pour ainsi dire, du voyage en territoire zarzuélistique (pour reprendre le néologisme qu’emprunte l’auteur lui-même). Sur un format relativement concis, selon la charte induite par la collection Horizons [lire nos chroniques des biographies de Janáček, Borodine, Sibelius, Mahler et Liszt, ainsi que celle à propos de l’essai Entartete Musik], le musicographe fait cette fois explorer La zarzuela romantique.

Après avoir rappelé les origines du genre, sa naissance à Madrid au XVIIe siècle, concomitante à celle de l’opéra sur l’autre péninsule du sud européen, Serna tente de le définir, ce qui paraît n’être point si facile. Proche de ce que serait plus tard en France l’opéra-comique, mais aussi potentiellement regardable comme un ancêtre de l’opérette sans que celle-ci en ait hérité l’ambition artistique, la zarzuela diffère de l’opéra espagnol et de l’opéra en général en ce qu’elle présente des dialogues parlés. Voici donc chose faite : appelons zarzuela les œuvres où intervient le parler et opéra celles qui s’en tiennent à la seule musique… ce serait aller un peu vite, pourtant : outre qu’il existe bon nombre de zarzuelas où l’on ne parle pas, ce qui brouille les limites ainsi établies, il n’est guère de coutume de classer le Singspiel outre-rhénan dans les catégories opéra-comique ni opérette – le tiroir opéra du vaisselier lyrique abrite assurément Die Zauberflöte comme Der Freischütz, pour n’en citer que deux, choisis fort différents à plusieurs titres. « Le seul véritable signe distinctif demeure les lieux de représentation. À l’origine, le Coliseo du Palacio del Buen Retiro » pour l’opéra, précise l’auteur, quand la zarzuela doit son nom au palais des environs de Madrid où les monarques prennent villégiature, plutôt qu’à une célèbre spécialité gastronomique. « Une frontière territoriale se perpétue aux cours des âges et jusqu’à notre époque même […], seule spécificité qui offre à partager entre zarzuela et opéra en Espagne. » [lire nos chroniques d’Iphigenia en Tracia, Los elementos et Coronis] Encore faut-il dire que dans l’Espagne d’aujourd’hui, l’opéra, donné au Teatro Real et dans les théâtres des grandes cités, est le fait de l’initiative institutionnelle à le subventionner quand la zarzuela relève d’une initiative privée : cette différentiation économique n’est pas moindre.

Passé une période moins faste, le retour de la zarzuela s’effectue vers 1830 (ainsi est-elle donc désormais romantique), après les guerres napoléoniennes, celles d’indépendance des Amériques et une notoire épidémie de choléra – rien qui laisse bon souvenir des premières décennies du siècle. Dans le terroir, elle puise une couleur ibérique dès lors plus affirmée, que véhiculent l’invention mélodique, une orchestration mettant l’accent sur les timbres, ainsi que la présence de nombreuses danses. À la suite de Las enredos de un curioso, créé en 1832 sur une partition à huit mains, se succèderont régulièrement plusieurs zarzuelas. Joaquín Gaztambide, Rafael Hernando et Cristóbal Oudrid sont les figures d’une nouvelle vague qui mèneront le genre au nouvel âge d’or qu’il connaîtrait vingt-cinq ans plus tard [lire notre chronique d’El sueño de una noche verano]. Adieu au spectacle de cour, la zarzuela se joue dans des théâtres ouverts au tout venant, la société espagnole y cohabitant en musique quelques heures durant, ce qui influe sur les arguments traités : les librettistes trouveront maintenant leur inspiration dans la vie madrilène et son folklore, à la faveur d’un abord réaliste, via sa gouaille particulière.

Les aventures et mésaventures d’un genre sont brillamment contées au fil de chapitres qui conduisent à son déclin, aux lendemains de la Guerre civile (1936), sans omettre d’ouvrir les yeux du lecteur sur les différents types de zarzuela, brève ou développée sur trois actes, et de l’informer sur ses représentants, des plus illustres aux moins connus. Certains ouvrages font ici l’objet d’une présentation détaillée qui rend compte de leur poids dans l’histoire de la musique comme de l’affection que leur porte Pierre-René Serna. On retrouve plusieurs titres rencontrés par nos chroniqueurs, ici et là [lire nos chroniques de Los sobrinos del capitán Grant et de Pan y toros], jusqu’à l’éloge d’Amadeo Vives dont la belle ambition magnifiait le genre à l’aube de sa fin [lire nos chroniques de Doña Francisquita, La Generala et Maruxa]. Au même moment apparaissaient les surgeons peu recommandables que furent l’opereta et surtout la revista, le pire étant le género infimo, grossier divertissement dépourvu de toute cohérence dramaturgique. Loin de telle décadence sut flotter Pablo Sorozábal, sans doute le dernier zarzuéliste véritable [lire notre chronique de La tabernera del puerto].

C’est loin de Madrid que se conclut le livre, la zarzuela ayant essaimé, en y développant des particularismes notoires, à Barcelone, à Valence et à Séville, l’exemple le plus frappant demeurant le catalan, à la faveur du grand essor qu’en connut la capitale au XIXe siècle [lire notre chronique d’El gato montés]. Encore le parcours n’aurait pas été complet s’il ne s’était aventuré par-delà les mers, telle la flotte espagnole d’autrefois, celle qui créa l’empire qui importa la zarzuela aux Amériques et même aux Philippines : un tour d’horizon passionnant renseigne sur la santé que connaît encore le genre loin du pays natal.

BB