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Chroniques
Piotr Tchaïkovski
Concerto pour piano Op.23 n°1
Le célèbre Concerto pour piano Op.23 n°1 de Piotr Illich Tchaïkovski est sans doute l'une des œuvres les plus populaires du répertoire, après avoir pourtant dû vaincre les réticences de la critique en son temps. On lui reprocha longtemps d'user d'effets de répétition, lui que ses contemporains qualifiaient méchamment d'européen et qui, paradoxalement, par un tel procédé, inscrivait cette œuvre dans la tradition russe. Un malentendu de plus dans l'histoire de la musique...
L'enregistrement paru ces derniers temps chez Ema a la mérite de nous faire entendre un pianiste français d'une trentaine d'années restant assez rare en France. Wilfrid Humbert s'est produit récemment à New York, Bruxelles, Madrid, Berne, Erevan, ou Venise. Il semble s'entendre avec les orchestres d'Europe de l'est avec lesquels il a souvent joué, comme à Varsovie, Cracovie, ou encore Oradea (Roumanie), et plus particulièrement avec les formations russes puisqu'il a donné des concerts avec celles de Tambov, Briansk, Nijni Novgorod, Petrozavodsk, ou encore l'orchestre de Minsk. C'est d'ailleurs en compagnie de l'Orchestre Symphonique de Voronej qu'il grava ce disque en mai 2002.
Dans l'ensemble, on pourra apprécier d'indéniables qualités de présence à ce pianiste. Le premier solo du premier mouvement est saisissant, et l'on y remarquera un style peut-être plus proche de celui qu'il est habituel d'entendre dans la musique de Liszt, mais un brin trop appuyé, parfois jusqu'à la lourdeur. Certes, on l'entend, c'est un pianiste au grand souffle, au son généreux, capiteux même, mais dont on pourra regretter le manque de couleur. Sachant peu inventer avec les possibilités de timbre de son instrument, il nuance beaucoup, parfois jusqu'à cabotiner les phrasés, et aurait tendance à laisser se résumer son expressivité à la mouvance du tempo. Tchaïkovski a écrit une partition fort éloignée de la rigueur métrique allemande, certes, mais de là à développer des ralentis jusqu'à l'emphase, en sur-contrastant les nombreux accelerandi, il y avait un pas franchi par Wilfried Humbert sans scrupules. L'élégante mélodie ukrainienne du premier motif prend ici un côté farouche qui n'est pas inintéressant.
Hugues Reiner à la tête de l'orchestre dialogue ingénieusement avec le piano, acceptant les options de lecture du soliste. On a grand plaisir à goûter les premières mesures de l'Andante, délicieusement nuancées, et entretenant un climat de tendresse sur toute la première partie. Ici, le pianiste marque moins son tactus, et laisse enfin de côté les effets de muscle ; cela dit, la main gauche demeure lourde... L'interprétation s'affiche comme complaisamment sentimentale, limitant la démarche du compositeur à l'exhibition la plus kitch. Étrangement, le début du dernier mouvement s'avère plutôt métronomique, et plus marcato que con fuoco ainsi qu'il est indiqué. Les cordes de Voronej se révèlent tout simplement magnifiques, sans ostentation, et bien plus dans l'esprit de ce final que le soliste. Qu'on ne se méprenne pas : nous reconnaissons les qualités de Wilfried Humbert, mais elles nous ont paru mal utilisées dans ce concerto ; ne serait-il pas plus judicieux de jouer ceux de Liszt, par exemple ?...
BB