Chroniques

par laurent bergnach

Piotr Tchaïkovski
Черевички| Les souliers fantaisie

1 DVD Opus Arte (2010)
OA 1037 D
à l’Opéra Royal en novembre 2009

« Nous sommes tous sortis du Manteaude Gogol » aurait déclaré Dostoïevski, rendant ainsi hommage à l’un des auteurs les plus importants de la littérature russe, qui écrivit notamment – sur les conseils de Pouchkine – Le Revizor (1836) et Les Âmes mortes (1842), des farces dénonçant la mesquinerie et la médiocrité humaine. Avant de finir sa vie dans un mysticisme maladif, Nicolas Vassiliévitch Gogol (1809-1852) commence sa carrière avec des récits grotesques et fantastiques, inspirés par la vie des paysans de sa région, des souvenirs familiaux ou des contes. Né de la nostalgie, publié en deux tomes (septembre 1831 et mars 1832), Les Soirées du hameau assurent à l’écrivain ukrainien une renommée critique autant que populaire.

A la suite d’un concours organisé par la grande-duchesse Hélène – le compositeur Alexander Serov vient de mourir, laissant inachevé un opéra d’après La Nuit de Noël, nouvelle qui ouvre le second tome –, Piotr Tchaïkovski compose Vakoula la Forgeron, entre juin et octobre 1874. Échec retentissant lors de sa création au Théâtre Mariinski, le 6 décembre 1876, ce quatorzième opus en trois actes et huit scènes est cependant salué par César Cui – « Je ne connais pas de sujet plus alerte, plus savoureux et plein d’humour, plus vivant que celui de Vakoula, si l’on excepte les caricatures et les farces d’Offenbach ».

Une dizaine d’année plus tard, Tchaïkovski revient à son opéra préféré, révisant le livret d’Iakov Polonski avec l’aide de Nikolaï Tchaev – ainsi que la partition, entre février et avril 1885. Tcherevitchki (Черевички | Les Souliers fantaisie) voit le jour. Egalement appelé Les Souliers de la Tsarine ou Les Caprices d’Oxana, ses quatre actes sont présentés au Théâtre Bolchoï, le 31 janvier 1887, sous la direction du musicien. Enchantée, la critique relève combien ce dernier « a su non seulement rendre intelligibles aux artistes ses moindres intentions, mais encore leur communiquer sa flamme ».

Déjà peu défendu dans son pays d’origine, Tcherevitchki est une rareté en Europe, voire « totalement négligé sans aucune justification » – selon les mots d’Elaine Padmore, directrice de l’Opéra Royal qui programme l’œuvre en novembre 2009. Pour l’occasion, aidée du décorateur et illustrateur Mikhail Mokrov et de la costumière Tatiana Noginova, Francesca Zambello développe un style folklorique naïf et coloré qui sublime sa mise en scène, laquelle favorise les techniques théâtrales désuètes (comme cette neige de confettis, lancée par des diablotins).

Outre son esthétique soignée et son humour, cette production brille par sa distribution. Dans le rôle du jeune couple, nous retrouvons avec plaisir Olga Guryakova (Oksana), précise et colorée, dont la voix gagne en largeur, face à Vsevolod Grivnov (Vakula), vaillant, fiable, et attachant. Le couple plus mûr propose d’entendre, à contre-emploi, Larissa Diadkova (Solocha), alliant puissance de chant et profondeur du grave, ainsi que Maxim Mikhailov (Le Diable), baryton un peu rauque, nuancé et évident. Parmi des seconds rôles excellents, signalons la présence de Sergei Leiferkus (Sa Majesté), à la voix corsée, au phrasé élégant.

Paradoxe de cet ouvrage énergique et pétillant – comme le remarque, à nouveau, Cesar Cui –, la musique est « toute entière mélancolique, élégiaque et sentimentale » et trois quarts des personnages se lamentent. Cela explique sans doute le ton presque dramatique adopté par Alexander Polianichko, dès l’Ouverture qui fait la part belle aux vents et aux cuivres de l’Orchestre de la Royal Opera House. La mise en place est irréprochable, mais le tout manque souvent d’élan et de corps. C’est dommage, surtout quand Tchaïkovski s’amuse avec les codes de l’opéra italien.

LB