Chroniques

par bertrand bolognesi

Piotr Tchaïkovski
Иоланта | Iolanta

1 coffret 2 CD Deutsche Grammophon (2015)
479 6969
Emmanuel Vuillaume joue Iolanta (1891), opéra en un acte de Tchaïkovski

Il y a deux ans et demi, nous vous parlions avec enthousiasme d’un concert marquant, donné à la salle Pleyel dans le cadre du cycle parisien Les grandes voix. Le Slovenska Filharmonija y était dirigé par son chef, le Strasbourgeois Emmanuel Vuillaume, dans une œuvre encore rare du répertoire russe : Iolanta, le dernier opéra de Tchaïkovski – Иоланта, 1891, sur livret de Modeste Tchaïkovski, d’après Kong Renés Datter, drame écrit par Henrik Hertz en 1845 qui interprétait de façon ô combien romanesque le destin d’Yolande d'Anjou et de Lorraine (1428-1483). Cet automne-là, le rôle-titre était somptueusement chanté par Anna Netrebko, au fil d’une tournée européenne à la faveur de laquelle Deutsche Grammophon en profita pour installer ses micros. Ainsi retrouve-t-on avec bonheur une distribution idéale (avec quelques changements avantageux) et un chef passionnant à la tête d’un orchestre formidablement investi [lire notre chronique du 11 novembre 2012].

Que dire de plus que ce qu’alors nous en avions dit ? Que les cordes slovènes nous paraissent aujourd’hui plus graciles encore, avec un violoncelle solo instillant l’émotion au plus profond de l’écoute, que la lecture de Vuillaume bénéficie d’un équilibre pupitral louable et, surtout, que la mystérieuse couleur dont use Netrebko traduit le secret de la cécité tue, la lumière rêvée par l’amour arrivant, pour finir, jusque dans la voix elle-même. Le phrasé est généreux, la nuance infinie, la vaillance renversante, l’expressivité irrésistible. Quelle Iolanta ! Monika Bohinec est une gouvernante à la parfaite autorité (Marta), quand les amies Nuška Rojko et Theresa Plut créent ce froufrou incessant (même dans la berceuse) autour de la jeune princesse (Brigitta et Laura). Le contraste entre la robustesse grondante de Luka Debevec Mayer (Bertrand) et l’élégante clarté du jeune ténor coréen JunHo You (Alméric) est confondant.

Au disque, le roi René de Vitaly Kovaliov paraît moins grand qu’en salle, la captation rendant à peine compte d’un tel format vocal sur cette tessiture ; sa prière de la Scène 4 n’en donne pas moins le frisson. La douceur du timbre de Lucas Meachem en fait un Ibn Hakia tout de caresse, entre les mains duquel on pourrait prendre goût à remettre sa santé [lire notre entretien avec le baryton étatsunien, à propos de son Billy Budd]. Alexeï Markov campe un Robert à l’impact sain, auquel répond le Vaudémont fulgurant de Sergueï Skorokhodov, à la fois brillant et sensible. Voilà un artiste dont on n’est pas près de se lasser [lire nos chroniques du 5 décembre et 13 juillet 2013, ainsi que notre critique DVD], qui use en maître d’un instrument attachant, toujours au service de l’émotion – écoutez l’incroyable duo qui conclut la septième scène…

Avec joie saluons cette parution d’une Anaclase! – sans oublier pour autant d’applaudir les artistes du Slovenski komorni zbor, mais encore le conditionnement de ce live, boitier noir à l’image un rien floutée surmontée du titre en braille.

BB