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Chroniques
Piotr Tchaïkovski
Symphonie Op.36 n°4 – Suite de Casse-Noisette Op.71a
Il y a une quinzaine d'années, le claviériste Jos van Immerseel fondait l'orchestreAnima Eterna qui se proposait comme projet de donner des exécutions sur instruments d'époque – on pourra dire historiques –, s'appuyant sur une étude approfondie des œuvres et de l'utilisation des instruments dans le respect le plus grand de l'orchestration initiale. D'abord ensemble baroque assez restreint, Anima Eterna s'étoffe et deviendra orchestre en résidence au tout nouveau Concertgebouw de Brugge. S'il est pour ainsi dire entré dans les mœurs d'entendre la musique de Händel ou de Mozart dans ce type d'interprétation, fidèle, rigoureux, réfléchi et documenté, voilà quelques années seulement que Beethoven y paraît également, et avec ce disque, c'est étonnamment la musique de Tchaïkovski qui est mise à l'étude avec la plus grande minutie.
Dans le parcours de Tchaïkovski, la Symphonie en fa mineur Op.36 n°4 occupe une place décisive en ceci qu'avec elle, le compositeur affirme désormais un style bien à lui, nettement affranchi de l'imitation des maîtres occidentaux de la précédente génération. Nuançons : on retrouve l'école qu'il avait tant admirée, mais uniquement dans l'inappréciable savoir-faire qu'il avait acquis à l'étudier et expérimenter dans ses trois premières symphonies ; le ton est tout autre, le projet complètement différent, intime et personnel, et amène clairement les débordements des deux dernières. La lecture d'Anima Eterna s'affirme précise, équilibrant magnifiquement les échanges entre pupitres, soignant des couleurs avec un savoureux raffinement. Le Scherzo y devient un numéro de voltige inquiétant et sinistre qui n'est pas sans rappeler des pages de ballet ou d'opéra du maître russe.
Le disque publié par Zig-Zag Territoires, et enregistré lors d'un concert au Palais des Beaux Arts de Bruxelles il y a deux ans, présente également la Suite de Casse-Noisette Op.71a. Marius Petipa avait commandé La Belle au Bois Dormant à Tchaïkovski avec un cahier des charges d'une précision affreusement tyrannique, et le public de Saint-Pétersbourg s'était fort étonné de découvrir une musique répondant judicieusement à des contraintes qui auraient pu se révéler sclérosantes. Un an plus tard, en 1891, le directeur Ivan Vsevolojski commande au même musicien et pour le même chorégraphe un ballet inspiré du très populaire conte de Hoffmann, Casse-Noisette. Petipa s'affirme encore plus envahissant en précisant avant toute chose :
« Musique très sérieuse, un peu effrayante et même comique (mouvement large, 16 à 24 mesures)... Pas diabolique, des poupées à ressorts. Un 2/4 assez vif et syncopé - 48 mesures... On entend la musique qui fait carrac-carrac, knac-knac, toujours sur le temps de polka. »
Avec le sentiment d'être considéré tout juste comme l'esclave d'un maître de danse intraitable, Tchaïkovski réussit en quelques mois à produire une partition en apparence libre et souple, tout en honorant parfaitement les exigences des commanditaires. La Suite sera créée en mars 1892, soit huit mois avant le ballet intégral, remportant un vrai succès, en partie dû à l'audacieuse utilisation, alors tout à fait inédite, du célesta. L'enregistrement ici proposé nous fait redécouvrir cette page célèbre du répertoire, lavant nos oreilles des inexactitudes et des licences qu'ont pu prendre avec elle beaucoup d'exécutions, que l'on pourrait qualifier peut-être de touristiques, par exemple, depuis sa création. La notice du disque explique très clairement ce en quoi il apparut important à Jos van Immerseel de reconsidérer l'orchestration de Casse-Noisette.
Notons enfin que Bruxelles est à une petite heure et quart de Paris, et qu'un concert d'Anima Eterna, tel qu'en propose le Palais des Beaux Arts durant la prochaine saison, mérite bien un petit aller-retour de Thalys...
BB