Chroniques

par laurent bergnach

récital David Bismuth et Geneviève Laurenceau
Fauré – Pierné – Saint-Saëns

1 CD Naïve (2017)
V 5446
Geneviève Laurenceau et David Bismuth jouent Fauré, Pierné, Saint-Saëns

Enregistrés en avril 2013 au Théâtre-Auditorium de Poitiers-Scène nationale, deux brillants musiciens nous emmènent un siècle en arrière avec un programme intitulé Paris 1900 : Geneviève Laurenceau et David Bismuth. Profondément chambriste, il réunit trois sonates pour violon et piano dont la plus ancienne est signée Camille Saint-Saëns (1835-1921). Habitué à écrire pour le violon – en témoignent trois concerti souvent inspirés par l’art de Sarasate, les Op.20 n°1 (1867), Op.58 n°2 et Op.61 n°3 (1880) –, celui-ci attend la cinquantaine pour livrer la Sonate en ré mineur Op.75 n°1 (1885), avec une certitude confiée à l’éditeur Durand : « tous les violonistes vont se l’arracher d’un bout du monde à l’autre ». Encore faut-il qu’ils soient virtuoses, à juger la régulière fébrilité du mouvement initial, frôlant le bourdonnement, le papillonage d’un Allegretto moderato printanier, et cette locomotive finale qu’on dirait sortie des souvenirs du grand voyageur !

Jean-Michel Nectoux le rappelle dans sa biographie de Gabriel Fauré (1845-1924) [lire notre critique de l’ouvrage], les dernières décennies du XIXe siècle sont dominées par le Grand Opéra et l’opérette. Dans les salons bourgeois lorgnant les habitus d’une aristocratie déclinante, Mozart et Haydn sont à l’honneur et les Français à la traîne, devancés par Onslow, Boccherini et Mendelssohn. Comme il l’accorde au Petit Parisien, l’auteur de Pénélope [lire notre chronique du 20 juin 2013] n’aurait pas songé écrire sonate ou quatuor dans sa première jeunesse : « il fallut que Saint-Saëns fondât, en 1871, la Société nationale de musique dont la principale occupation devait être justement d’exécuter les ouvrages des jeunes compositeurs, pour que je me misse à l’ouvrage » (28 avril 1922).

Le trentenaire débute sa Sonate en la majeur Op.13 en 1875, aidé dans son exploration des cordes par Hubert Léonard (1819-1890), ancien élève d’Habeneck, Rouma et Vieuxtemps, durant un été près du Havre. Dédiée à Paul Viardot dont la sœur Marianne se fiancerait brièvement à Fauré, l’œuvre est présentée avec succès le 27 janvier 1877, à la Société, en compagnie de Marie Tayau. D’emblée, l’on y apprécie une violoniste fluide, un tendre pianiste, avant les bondissements de l’Andante, plus techniques. Jusque-là discrètes, la passion et la fougue s’immiscent dans la seconde partie, mais sans excès… à la française.

Très célèbre comme chef des Concert Colonne, au service de Debussy, Ravel et Stravinsky, Gabriel Pierné (1863-1937) soigne aussi sa carrière de compositeur – Correspondance romaine dévoile un jeune homme soucieux de placer ses mélodies auprès des élèves de parents enseignant l’un le chant, l’autre le piano [lire notre critique de l’ouvrage]. Quelques années avant le Quintette Op.41 (2019), sa Sonate en ré mineur Op.36 (1901) prouve déjà son talent chambriste. Les trois mouvements sont créés par Jacques Thibaud, son dédicataire, et Lucien Wurmser. L’Allegretto offre un certain lyrisme, surtout du violon qui prend son temps pour glisser de la taquinerie à l’intériorité, quand les notes cristallines du piano renforcent le climat nocturne d’un Allegretto tranquillo fort berçant. Enfin, on aime les dernières minutes, successivement intimes, vivaces, âpres et lumineuses, là encore défendues avec talent par nos délicieux interprètes.

LB