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récital Alexandre Boldachev
Alyabiev – Arenski – Glazounov – Gretchaninov – Griboïedov – etc.
De la même façon qu’il additionne les racines suisses et russes, Alexandre Boldachev est compositeur, improvisateur et déjà l’auteur de deux centaines d’arrangements. Il est aussi un interprète talentueux qui, après un disque consacré à Chopin (CAL 2083), offre un programme célébrant les musiciens de Russie, et pas seulement les trois têtes d’affiche indiquées au recto (Prokofiev, Rachmaninov et Tchaïkovski), puisque quinze créateurs sont joués, même si c’est de façon brève – ils s’écoutent en moins d’une heure. Du jeune harpiste, on goûte ainsi le sens évident de la nuance, une grande capacité de retenue et de régularité, notamment dans les ambiances tabatière de plusieurs morceaux.
Sous la double thématique de l’art et de la nature, l’album propose cinq parties dont les deux premières s’intitulent Oiseaux russes et Fleurs russes. Six pièces s’y succèdent, signées Mikhaïl Glinka (L’alouette), Sergueï Slonimski (L’oiseau de feu), Alexandre Alyabiev (Le rossignol), Alexandre Gretchaninov (Perce-neige), Anton Arenski (Muguet) et Sergueï Rachmaninov (Marguerite). À part ce dernier, les cadets sont les moins connus. Rappelons donc que Gretchaninov (1824-1956), hors la période soumise aux diktats révolutionnaires, consacra beaucoup de temps à la musique religieuse « qui connaissait avec les harmonisations modales de Kastalski et de Chesnokov un important renouveau » (in Frans C. Lemaire, Le destin russe et la musique, Fayard, 2005) [lire notre critique de l’ouvrage]. Quant à Slonimski (1932-2020) après une jeunesse tournée vers l’ethnomusicologie et les pionniers (Stravinsky, Webern, etc.), il s’achemina vers un destin commun à ceux qui, fuyant l’affrontement durant l’ère soviétique, « durent afficher une certaine routine officielle tout en pratiquant la dissimulation » (ibid.). Musicalement, notre préférence va à la faune plutôt qu’à la flore, cette dernière catégorie s’avérant traitée avec une délicatesse assez mièvre.
Longtemps envisagée comme simple parenthèse à l’opéra, la musique de ballet acquit une autonomie bien tardive – « dans aucun autre domaine, en effet, le conservatisme, l’inertie et la médiocrité n’auront eu la vie aussi dure », constate André Lischke dans sa biographie de Piotr Tchaïkovski (Fayard, 1993). Du créateur de Casse-noisette (1892), l’un des premiers Russes à donner au genre sa pleine dimension orchestrale, voici Valse des fleurs que précèdent un extrait de Raymonda (1898) et un autre de Roméo et Juliette (1938), respectivement d’Alexandre Glazounov et de Sergueï Prokofiev.
Après le théâtre, passons au musée, et plus précisément à la pinacothèque. Si la première rétrospective posthume de Viktor Hartmann (1834-1873) a inspiré Tableaux d’une exposition à son ami Modeste Moussorgski, l’extrait Le vieux château est ici joué entre deux autres pages liées à l’œuvre de Mikhaïl Vroubel (1856-1910) – magnifiquement, d’ailleurs, avec un côté guitaristique qui renvoie au fantasme italien d’un imaginaire russe. Dans les deux cas, la partition devance le croquis, elle-même précédée par un poème. C’est ainsi que Lermontov offre à Anton Rubinstein un sujet faustien pour Le démon (1871) et que Nikolaï Rimski-Korsakov s’appuie sur Pouchkine pour Le conte du tsar Saltan (1900). Vroubel donne corps au tentateur infernal à l’occasion d’une réédition illustrée (1880), de même qu’à la princesse-cygne, vingt ans plus tard, lorsque son épouse soprano chante le rôle. Ce triptyque réunit sans doute les pages les plus riches, les textures les plus travaillées de tout l’album.
Retour à la danse, pour terminer. La valse a des racines austro-hongroises mais s’avère bien vivace dans les pays slaves, comme le prouvent celles écrites par Alexandre Griboïedov (Valse en mi mineur), Anatoli Liadov (La boîte à musique) et Gueorgui Sviridov (Tempête de neige), à travers les âges. De Sviridov (1915-1998) – qui fut élève de Chostakovitch, autre géniteur d’une page entêtante bien connue –, on apprend que la pièce orchestrale Tempête de neige, bande sonore en neuf étapes du film du même nom (1964), fut diffusée « à outrance » à la radio soviétique (Wikipédia). Tant mieux, car on ne s’en lasse pas !
LB