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Chroniques
récital Arsys Bourgogne
Canteloube – Debussy – Messiaen – Milhaud – Poulenc – etc.
Fondé en 1999 par Pierre Cao, aujourd’hui dirigé par Mihály Zeke, l’ensemble vocal Arsys Bourgogne n’exclut aucune musique de son répertoire, qu’elle soit ancienne (Bach, Monteverdi) ou récente (Hersant, Menut, Markeas). L’enregistrement ici proposé met à l’honneur sept compositeurs français, nés pour la plupart dans la seconde moitié du XIXe siècle : Claude Debussy, Florent Schmitt, Maurice Ravel, Joseph Canteloube, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Olivier Messiaen.
Ouvrant la voie de l’art moderne, avec Cézanne et Mallarmé, Debussy se penche pourtant sur un poète du XVe siècle pour Trois chansons de Charles d’Orléans (1909). Le cycle, qui regroupe deux pièces de 1898 (I, III) et une de 1908, est donné le 11 mars 1909 par le Chœur Bathori-Engel, puis le 9 avril, aux Concerts Colonne. Quelques années plus tard, on retrouve Jane Bathori – nom de scène du mezzo-soprano Jeanne-Marie Berthier – à servir Ravel, lequel fut séduit jadis par son interprétation d’Asie (Shéhérazade, 1904). Au Théâtre du Vieux-Colombier dont elle vient de devenir directrice, elle fait donner Trois chansons (1917), achevé deux ans plus tôt, par un ensemble choral réunit par ses soins. Les poésies sont de la main du musicien, mêlant l’esprit des comptines populaires à celui de la Renaissance. Pour l’anecdote, citons Poulenc qui, entraîné par Ricardo Viñès chez la cantatrice, y avait déchiffré l’œuvre avec Koechlin et Honegger, sous la direction de Caplet muni des épreuves à peine sèches : « le résultat n’était pas brillant, mais la bonne volonté y était » (in J’écris ce qui me chante, Fayard, 2011) [lire notre critique de l’ouvrage].
La redécouverte de la chanson populaire et du folklore accompagne l’éveil des écoles nationales à une époque où l’Europe souffre des jeux de dominations politiques. Les membres de la Schola Cantorum participent à la sauvegarde du patrimoine, dont Canteloube, élève de D’Indy et ami de Déodat de Séverac. Si ce dernier célèbre le Languedoc, entre autres terres méridionales, l’Ardéchois rend hommage à l’Auvergne paternelle, lieu de nombreuses collectes ethno-musicales. Ses harmonisations se veulent libres et sobres, à l’instar des Cinq chants paysans de Haute-Auvergne (première de trois séries, publiées entre 1928 et 1947) dont sont extraits l’humoristique À la campagne et Chaîne de bourrées.
Au début des années cinquante, au micro de Claude Rostand, Poulenc détaille son affection pour Paul Éluard, en partie parce que « c’était le seul surréaliste qui tolérât la musique » (ibid.). Moins connu que Figure humaine, Un soir de neige est une « petite cantate de chambre » écrite entre le 24 et 26 décembre 1944. En cette période de guerre mondiale, « la concision de chaque pièce convient parfaitement au climat d’intimité et à l’expression d’un désarroi existentiel traduit par les métaphores du froid, de l’hiver et de l’isolement », selon l’analyse d’Hervé Lacombe (in Francis Poulenc, Fayard, 2013) [lire notre critique de l’ouvrage]. Quant à lui, Rostand évoque Florent Schmitt, « doyen de la musique française actuelle », pour qui aucun progrès digne de ce nom n’a été fait en musique depuis 1900. Dans une après-guerre qui scrute les sympathies allemandes du provocateur, la chorale Élisabeth Brasseur présente À contre-voix (1947) dont sont extraits Pour vous de peine et Bonnet vole, aux climats tranchés, sur des textes respectifs de Pierre de Ronsard et Paul Arosa.
Autre membre du Groupe des Six, Milhaud laisse un catalogue riche et varié, incluant opéra-minute et bande-son pour le cinéma. Connu pour avoir mis Cocteau et Claudel en musique, celui que la guerre force à l’exil puise chez Jules Supervielle la matière de son opus 292, Naissance de Vénus (1949). Cette cantate est créée par l’Ensemble Marcel Couraud, auquel est bientôt confié la gestation des Cinq rechants (1950) de Messiaen. Deux sources l’irriguent : un chant d’amour sud-américain et un chant d’aube médiéval, dans lequel une voix avertit les amants que la nuit va finir. Le futur co-fondateur du Groupe vocal de France rappelle que pour goûter au chef-d’œuvre, il fallut d’abord dépasser l’hostilité des chanteurs (« impossible, fou, ridicule… j’en passe ! »), puis « l’impression d’errer dans un tunnel interminable et sans issue » (in Cahiers de la Compagnie Renaud-Barrault, 1954).
Malgré des soucis de diction déroutant pour un ensemble français, et une réverbération un peu copieuse, parfois, cette gravure retient l’attention grâce à une belle définition de chaque pupitre et à des solistes de qualité. Elle permet de redécouvrir des pièces fort connues, en particulier avec Ravel – les entrelacs de Nicolette paraissent plus sensuels que d’ordinaire – et Messiaen – bel équilibre général entre moelleux (Hayo kapri tama) et entrain (Ma robe d’amour).
LB