Chroniques

par laurent bergnach

récital Bertrand Chavarría-Aldrete
Erkoreka – Hortiguëla – Lazkano – Mendoza – Robusté – etc.

1 CD Odradek (2016)
ODRCD 346
Le guitariste Bertrand Chavarría-Aldrete joue six pièces du XXIe siècle

Il suffit de parcourir la biographie de Bertrand Chavarría-Aldrete (né en 1978) pour voir combien le guitariste, natif de Lyon et Mexicain d’origine, s’implique dans l’art de son temps. En effet, on y trouve une trentaine de compositeurs, Espagnols pour la plupart, dont l’interprète assura une création mondiale. Si les pièces pour ensemble dominent, c’est mêlé à quelques dialogues avec le violoncelle (signés Fernando Fiszbein, Octavio López, José Luis Torá, etc.), la flûte (Iñaki Estrada, Nikita Kochkine) ou la percussion (Roberto Rusconi, Jorge Sancho), quand ce ne sont pas simplement des soli (José Luis Campana, Arturo Fuentes, José Pablo Polo, Emmanuel Pautrot, etc.).

Nés entre 1968 et 1988, six autres créateurs hispaniques apparaissent dans un programme d’opus conçus dans les quinze premières années de ce siècle. Fantasía (2001) est le plus ancien, inspiré à Gabriel Erkoreka (né à Bilbao, en 1969) par le cante jondo, un chant profond et dramatique lié aux racines du flamenco, dont Lorca et Falla vantèrent la beauté. Le musicien modernise son modèle folklorique avec pincements de cordes incisifs et percussions rythmées, livrant un premier tiers au flux nerveux puis deux autres à l’énergie apaisée qui mettent en valeur la virtuosité de l’interprète.

Pour les Français, Ramon Lazkano (Donostia, 1968) s’avère le nom le plus connu de cette heure musicale. Lorsqu’il gagne Paris à dix-neuf ans, déjà, l’élève de Grisey et Bancquart n’imagine pas qu’on puisse « créer quelque chose à partir de rien, sans mémoire ou sans tradition » (in programme Présences 2017), gardant à l’oreille les œuvres de la Generación del 51 isolée par le franquisme (Halffter, Pablo). Dans Ezkil (2002), il s’attaque aux archétypes à l’aide d’un instrument accordé en quarts de ton, créant des résonnances particulières qui justifient le titre (cloche, en basque), avec tonus et distinction.

Avant de s’intéresser aux mensonges dans son récent opéra madrilène [lire notre chronique du 21 février 2017], Elena Mendoza (Séville, 1973) s’est attachée aux mirages en répondant à une commande sur Francisco de Goya. D’une femme gravée recouverte d’un masque (Nadie se conoce, 1799), elle imagine un travail sur la perpétuelle mutation, jeu de cache-cache entre connu et inconnu. Brevario de espejismos (2005) préfère intriguer que rudoyer, tendrement fébrile, frémissant.

Dépassant le quart d’heure, Poética (supongo) (2012) est la page la plus longue de ce premier état des lieux de la guitare espagnole récente – d’autres volumes suivront. Joan Riera Robusté (Barcelone, 1968) en est l’auteur, féru de jazz et d’électro-acoustique, qui s’inspire d’un poème de Julieta Valero. Comme l’écrit Joanna Wyld dans la notice, « Robusté utilise des textures minimalistes à évolution lente pour créer un air d’intemporalité, de suspense et d’attente, avec la guitare spécialement accordée pour une résonnance naturelle et ouverte ». Tout est dit ! Et la pièce ravira les amateurs de transe hypnotique.

Si peinture et littérature dynamisent la réflexion des compositeurs, l’héritage de leurs confrères est un ferment parfois saillant. Ainsi Alberto Hortigüela (Burgos, 1969) adapte-t-il Antonio de Cabezón (1510-1556), pionnier de l’orgue, célèbre pour ses pièces contrapuntiques (tiento) à la frontière de la fantaisie allemande et du ricercare italien. Tres tientos de Antonio de Cabezón (2014) plonge l’auditeur dans une délicatesse d’un autre temps.

Terminons avec le cadet Mikel Urquiza (Bilbao, 1988), qui fut élève d’Erkoreka et Lazkano avant de fréquenter nombre d’ensembles français (L’Instant Donné, Quatuor Diotima, L’imaginaire). Lui aussi innove en fréquentant les arts, comme dans Belarretan (2014) qui trouve chez Manet, Titien et Poulenc une résonnance au sous-titre de la partition : sur l’herbe. Complexe et onirique, la rencontre de la guitare avec une bande magnétique sublime un tendre patchwork pastoral et ludique, typique d’une génération réfléchie mais décomplexée – Mauro Lanza [lire notre critique du CD], Aurélien Dumont [lire notre critique du CD], etc.

LB