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Chroniques
récital Cernitori, Irnberger et Sinaïski
Gál – Goldmark – Zemlinsky
Autour de trios pour violon, violoncelle et piano, cette nouvelle livraison du label Gramola réunit trois compositeurs nés au XIXe siècle qui, pour les plus jeunes et du fait de leurs origines juives, ont vu leur carrière musicale perturbée à divers degrés (mise à l’index, immigration, internement, etc.) : Karl Goldmark (1830-1915), Alexander von Zemlinsky (1871-1942) et Hans Gál (1890-1987). Admiré pour son œuvre voire fréquenté en personne, Johannes Brahms s’avère un autre point commun entre des créateurs dont, à l’évidence, la musique est consignée à quelque Purgatoire.
Porté par un père cantor, Karl Goldmark (ou Károly, si l’on tient compte d’une naissance hongroise) commence l’apprentissage du violon avant de composer des pièces vocales à l’approche de la puberté. À Vienne où se poursuivent ses études musicales avec les violonistes Leopold Jansa et Joseph Böhm, il se fait un nom comme pédagogue (Sibelius fut brièvement son élève) mais ses ambitions de créateur sont parfois éreintées par la presse – le menant à un exil budapestois de quelques mois, à l’aube de ses trente ans. Proche de son confrère Brahms un rien plus jeune que lui, actif dans la création d’une Société Wagner à Vienne, Goldmark accuse les influences de Schumann et Mendelssohn dans sa musique de chambre. En alternance avec les Quintettes pour piano Op.20 et Op.54 sont créés les Trio en si bémol majeur Op.4 et Trio en mi mineur Op.33 (1879), amicalement dédié à Pablo de Sarasate. D’emblée, nous savourons le piano chantant du Pétersbourgeois Evgueni Sinaïski rejoint par le violon clair du Salzbourgeois Thomas Albertus Irnberger, dans un premier mouvement leste, lyrique et lumineux auquel succède un autre plus pastoral. L’avant-dernier met en relief la tendresse du violoncelle tenu par Attilia Kiyoko Cernitori (d’origine italo-japonaise) tandis que le quatrième renoue avec l’urgence de ton initiale.
Comme son beau-frère Arnold Schönberg qu’il éduque au contrepoint, Zemlinsky finit par quitter l’Europe pour les États-Unis (1938) ; tandis que le premier se consacre à l’exploration du dodécaphonisme, le second demeure un héritier de Mahler, au service d’un postromantisme expressionniste – songeons seulement à son opéra König Kandaules [lire notre chronique du 7 mars 2006]. Dès l’Allegro ma non troppo du Trio en ré mineur Op.3 (1896), nous voilà pris par le lyrisme gracieux que déploient des interprètes délicats osant la nuance – et ce jusqu’à l’inquiétude volubile et virevoltante du troisième mouvement.
Élève au nouveau conservatoire de Vienne où il enseigna également quelque temps, soutenu par les chefs Furtwängler, Busch et Szell ainsi que par de nombreux prix nationaux, le pianiste et compositeur Hans Gál s’éloigne lentement de la vie artistique autrichienne en devenant directeur du conservatoire de Mayence (Allemagne) tout d’abord, puis en rejoignant la Grande-Bretagne lorsqu’Hitler arrive au pouvoir. Devenu professeur à Édimbourg, ce fils de médecin n’en demeure pas moins marqué par la tradition germanique de la fin du XIXe siècle – en 1916, le musicologue Wilhelm Altmann évoquait Brahms et Schubert lorsqu’il incitait à l’écoute de son Handbuch für Strechquarttespieler. Son Trio en sol majeur Op.49b (1948), qui suit d’une vingtaine d’années le Klaviertrio Op.18 (1925), favorise l’élégance plutôt que la robustesse d’un Goldmark, mais recèle une fraîcheur identique, pour des instrumentistes qui chantent même avec grâce et sensibilité l’ultime Marche burlesque.
LB