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Chroniques
récital Christelle Séry
Combier – Liao – Momi – Naegelen – Pattar – Séry
De formation classique (CNR de Nice, CNSMD de Paris), Christelle Séry fait vibrer ses cordes dans « le monde des musiques créatives », comme son curriculum vitae le stipule d’emblée, en amont de ces autres mots : « je continue à ouvrir les frontières entre mes pratiques écrites, orales, acoustiques, électriques ». Si l’on rencontre souvent la guitariste en collectif (Cairn, Accroche Note, Ensemble Intercontemporain, etc.), c’est aussi seule qu’elle se produit, avec un répertoire incluant Murail (Vampyr!), Reich (Electric Counterpoint), Romitelli (Trash TV Trance), Sciarrino (L’addio a Trachis II) et Takemitsu (Equinox), pour ne citer que les plus connus.
Cet enregistrement nous fait découvrir d’autres compositeurs, appartenant à une génération principalement éclose dans les années soixante-dix. Venu au monde en 1969, Frédéric Pattar y fait figure d’aîné, connu pour son langage très contrasté. Avec Ricercar à 11 - effet Joule (2014), et le recours à l’overdub, l’ancien élève de Gilbert Amy explore les possibilités d’une polyphonie complexe liés à un instrument solo. « Mon idée, explique-t-il, était de mettre en œuvre de minuscules structures musicales, presque infimes, qui par effet d’accumulations finiraient par constituer, comme par effet d’entropie, un déferlement sonore ».
Formé par le Madrilène Antonio Membrado, lui-même initié par Andrés Segovia, Jérôme Combier (né en 1971) ne découvre pas la guitare lorsqu’il conçoit Yūrei (2016), ni son mariage avec l’électronique, déjà au cœur de Kogarashi (2002). S’il donne un nom de spectre japonais à « une musique qui explore des sonorités de métal en écho à un monde sidérurgique perdu », c’est parce qu’il moissonna quantité de sons caractéristiques d’une cité minière fantôme du Spitzberg : impacts sur des barils, résonnances de cuves, etc. On y apprécie son sens du contraste.
Marquée par l’enseignement de Philippe Leroux à son arrivée en France, la Taïwanaise Lin-Nin Liao (née en 1977) complète une série consacrée au solo avec électronique par Le train de la vie V - Alison (2014). Ici musique vivante, sons de loops préenregistrés et extraits électroacoustiques se superposent en permanence, chacun des trois éléments offrants différents niveaux, avec directions et morphologies variées. Il nous semble y lire une page intime, opposant l’introspection aux rumeurs alentours.
Formé aux rudiments dans plusieurs villes d’Europe (Pérouse, La Haye, Strasbourg), l’Italien Marco Momi (né en 1978) a, comme beaucoup de jeunes confrères, approfondi sa maîtrise de l’électronique aux côtés de Yan Maresz, à Paris. Les pages mixtes sont nombreuses à son catalogue, telle Quattro Nudi (2014). Cette brève série souhaite explorer la solitude du soliste, avec « une dimension dans laquelle le corps exposé se débarrasse de son caractère social, se cherche et se réconforte ». Parce qu’elle tranche avec le reste de l’album, la pièce I se distingue par un moelleux quasi soyeux, un calme finalement cristallin.
Saxophoniste et guitariste de formation, Karl Naegelen (né en 1979) se passionne pour l’improvisation et les sons extra-européens, s’inspirant pleinement de la souplesse et de la spontanéité caractéristiques des musiques de traditions orales. Avec Strates (2014), le Burgien d’origine n’utilise pas les boucles dans un but rythmique mais pour épaissir le flux musical, et parfois à la manière d’un objet recyclé. En fin de compte, « les différentes strates sont autant de stratagèmes pour mêler travail des textures et travail mémoriel ». D’où le retour des différents râles et frottements de cette page.
Enfin, Christelle Séry interprète une de ses créations, Ombre pour ombre I et II (2018). Si ce titre fait référence à un recueil poétique de l’essayiste Annie Le Brun, c’est pour mettre en avant une impression liée à son expérience des micro et amplificateur : celle qu’il existe « un jeu d’ombres entre le geste instrumental et le son amplifié qui en découle ». On y aime ces climats ouatés qui laissent imaginer des conversations lointaines et monstrueuses, des apocalypses filtrées, une urbanité possiblement anxiogène. Saluons enfin la prise de son irréprochable de Sylvain Thévenard, pour ce disque enregistré à Gagny en juillet 2018.
LB