Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Claire Chevalier et Jos van Immerseel
Franck – Infante – Poulenc – Saint-Saëns

1 CD Zig-Zag Territoires (2003)
030903
récital Claire Chevalier et Jos van Immerseel pour deux piano

Pour sûr, les amoureux de pianos anciens se battront pour ce fort beau disque !... Claire Chevalieret Jos van Immerseel y jouent deux grands Érard de 1897 et 1904, les faisant bien évidemment sonner avec un répertoire qui leur convient parfaitement. La sonorité extraordinaire de ces instruments historiques vient servir la Danse macabre Op.40 de Camille Saint-Saëns, fort bien articulée, avec du suspens, et sans effets de surenchère. Les interprètes savent parfaitement y faire désirer l'exultation des thèmes, jusqu'à cette variation sur le Dies Irae facétieusement camouflée, dans une mélancolie qui ne se borne jamais à la seule jubilation morbide lisztienne. Le travail des couleurs est fin, et si l'œuvre, bien que réputée et populaire, n'a rien d'un chef-d'œuvre, le duo parvient presque à nous la rendre attachante. Les piquées de la fin le sont avec beaucoup de délicatesse. En 1874, Saint-Saëns écrit un surprenant hommage, les Variations sur un thème de Beethoven Op.35, où il semble s'effacer devant le géant avec une grande humilité. Il ne s'agit pas ici d'extrapoler du Saint-Saëns sur ce thème, mais de développer un À la manière de tout à fait crédible. L'interprétation de ce disque est d'une appréciable clarté. Cette forme était la privilégiée de l'univers de l'esthétique beethovenienne : on pourrait s'y laisser prendre, tant l'écriture comme le jeu imitent la main du maître, si ce n'était la sonorité propre du deux pianos. La construction de la fugue est un rien soulignée, tout en restant toujours brillamment musicale. Bref, une lecture minutieuse où rien n'est laissé au hasard.

Prélude, fugue et variation Op.18 de César Franck est une célèbre pièce pour orgue. Le compositeur l'adapte pour deux pianos cinq ans après sa première publication. Le duo Chevalier / Immerseel s'engage sans la moindre lenteur dans le Prélude. C'est mobile, dosé, intelligent, sensible, dans une sonorité volontiers moelleuse résultant d'un jeu de pédales bien géré. Les accords forte qui posent la deuxième partie manquent cependant de profondeur et de cuivre. L'amorce de la Fugue avance comme un fleuve au dégel, dans une remarquable fluidité.

Les interprètes font ensuite un bond d'une cinquantaine d'années, en donnant les Trois danses andalouses de Manuel Infante. Ritmo est savamment colorée, sans tomber dans une affirmation trop lourde du type musique de caractère, préservant toujours une fine poésie. Sentimiento déploie un véritable orchestre, dans une sonorité d'une richesse étonnante. La lecture se veut farouche, noble, revêche. Enfin, Gracia (El vito) est sérieux comme la corrida, vertigineusement festif, dans une accentuation judicieuse.

Pour terminer, c'est à une visite chez Poupoule que les deux pianistes nous invitent. Si l'introduction de l'Élégie en accords alternés reste un peu plate, le développement suivant est joué avec une sensualité débordante, jusqu'à la désolation finale proprement fascinante. L'embarquement pour Cythère était défini par Poulenc lui-même comme « de la délicieuse mauvaise musique », et c'est bien ainsi qu'il est donné, avec jubilation, humour, une tendre ironie ici et là, et toujours une exemplaire maîtrise. Le Capriccio du Bal masqué bénéficie de brio comme de mystère, pour une musique de cinéma muet : cela chante fabuleusement, tout en sentant son bal des bords de Marne.

... Les amoureux de pianos anciens se battront pour ce fort beau disque, pour sûr !

BB