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Chroniques
récital Dania et Gabriel Tchalik
Franck – Hahn – Saint-Saëns
Marcel Proust est décidément à l’honneur, ces temps-ci. Après le très beau disque consacré à La sonate de Vinteuil par le duo pour violon et piano des sœurs Milstein, c’est au duo des frères Tchalik de tenter d’explorer Le violon de Proust. D’origine franco-russe, la famille Tchalik est composée de cinq frères et sœurs, tous musiciens, qui jouent ensemble en duo, quatuor et quintette. Pour cet enregistrement, Gabriel et Dania, respectivement violoniste et pianiste, s’inscrivent dans le même genre de recherche que leurs compatriotes féminines [lire notre critique du CD]. Cette fois, Il s’agit moins de retrouver les influences qui conduisirent Marcel Proust à imaginer le compositeur fictif Vinteuil et sa Sonate que de brosser l’univers musical du Parisien.
« Je me demandais si la musique n’était pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être – s’il n’y avait pas eu l’invention du langage, la formation des mots, l’analyse des idées – la communication des âmes », s’interrogeait-il dans La prisonnière, cinquième tome d’À la recherche du temps perdu. Proust fréquenta très tôt les salles de concert et les salons mondains où il pouvait découvrir ou réentendre les œuvres musicales. Plus tard, il organisera même des concerts chez lui, privilégiant toujours la musique de chambre qu’il plaçait au-dessus de tout. Mélomane, Proust se passionnait pour Bach, Gluck, Beethoven, Brahms, Wagner et Franck, mais appréciait aussi les compositeurs français de son époque et proches de lui, dont Fauré, Saint-Saëns, Pierné, Debussy et, bien sûr son compagnon et ami Reynaldo Hahn. Il appréciait tout particulièrement la Sonate de César Franck qu’il entendit interpréter de façon flamboyante par le violoniste virtuose et compositeur Georges Enesco. « Grosse émotion ce soir. […] Je suis allé […] entendre la Sonate de Franck que j’aime tant, non pour entendre Enesco que je n’avais jamais entendu. Or je l’ai trouvé admirable ; les pépiements douloureux de son violon, les gémissants appels, répondaient au piano, comme d’un arbre, comme d’une feuille mystérieuse. C’est une très grande impression. »
Hélas ! Dans cette Sonate en la majeur FWV 8, Gabriel Tchalik n’arrive pas à faire ressentir cette passion flamboyante, ces gémissants appels du postromantisme qu’on en attend. S’agissant d’une des œuvres pour violon et piano les plus enregistrées et dont nous possédons déjà de nombreuses références, les Tchalik se devaient de surprendre et de séduire. Quoique très virtuose, le violon ne convainc pas et, sans âme, laisse indifférent. Routinier, à la limite du scolaire, le son est étriqué et manque de consistance. Les attaques sont systématiquement bridées et comme étouffées. On a même l’impression que c’est Dania qui mène la danse avec un piano plus présent et plus engagé qui, par sa maîtrise, sauve l’album de l’échec complet. Il y a vraisemblablement un malentendu sur l’interprétation de ce répertoire impressionniste, qui se trouve comme décérébrée. Pour être dans le style, il ne suffit pas de se faire la tête de Marcel Proust et de s’habiller à la mode 1900, comme le montrent les photos contenues dans le livret… L’auditeur a l’impression de se trouver dans un salon parisien de la Belle Époque où un duo timide et discret égrène des notes sans déranger la conversation des invités.
C’est encore plus fragrant avec la Sonate en ré mineur Op.75 n°1 de Camille Saint-Saëns qui, rappelons-le même si Proust n’aimait ni le compositeur ni l’œuvre, reste, avec celle de Franck, le modèle le plus vraisemblable de celle de Vinteuil. Là aussi, alors qu’une approche romantique nerveuse et soutenue s’avère indispensable, les mêmes défauts se font sentir. Le violon semble miniaturisé, une forme d’indifférence et une absence d’émotion règnent pour les trois premiers mouvements, malgré un piano exemplaire. Une belle virtuosité et une respiration bienvenues dans le diabolique dernier mouvement (Allegro molto) finissent par sauver l’œuvre de l’ennui.
Même si elle est posthume à Proust (1927), les Tchalik ont souhaité inscrire à leur programme la Sonate en ut majeur de Reynaldo Hahn, peu fréquentée au disque et au concert. Il est vrai que son atmosphère naturellement plus intimiste, moins romantique et teintée d’humour convient mieux à nos jeunes instrumentistes. Les sous-titres donnés à chacun des mouvements en sont une preuve sympathique. Le second surtout, gentiment dissonant, Véloce – 12 CV, 8 cyl., 5000 tours en hommage aux performances d’une automobile, est très réussi, sorte de partition de cinéma muet. Les deux autres épisodes, cantilènes de tendresse et de mystère, retrouvent une partie des défauts déjà exposés. Un rendez-vous presque raté pour ce Violon de Proust, étranger à l’univers du grand écrivain.
MS