Chroniques

par laurent bergnach

récital David Lively
Albright – Barber – Bolcom – Carter – Copland – etc.

1 CD La Música (2017)
LMU 011
David Lively joue neuf Étatsuniens nés au XIXe et XXe siècle

Pianiste français d’origine américaine, David Lively a quitté les États-Unis « pour Debussy et Ravel », lorsqu’il avait seize ans. Aujourd’hui, il rend hommage à ses racines en célébrant un patrimoine influencé par le jazz et l’art populaire, ainsi qu’à deux créateurs qu’il eût la chance de côtoyer, Aaron Copland et Elliott Carter.

Alkan, Chopin et Liszt saluèrent la virtuosité pianistique de Louis Moreau Gottschalk (1829-1869), l’aîné d’un programme qui favorise les compositeurs nés au XIXe siècle. La Nouvelle Orléans, sa ville natale arpentée par nombre d’esclaves africains, lui inspire The banjo – an American sketch Op.15 (1853), tandis qu’on doit Souvenir de Porto Rico, Marche des Gibaros Op.31 (1857) aux paysans d’une plantation de sucre. Son confrère Scott Joplin (1868-1917), Texan héritier desdits captifs, possède une couleur de peau qui ne fait pas prendre au sérieux son opéra Treemonisha [lire notre chronique du 31 mars 2010] ; il survit donc comme artiste de club, popularisant le ragtime à travers des succès tels Maple Leaf Rag (1899). Charles Ives (1874-1954) écrivit aussi pour le piano, mais ces pièces s’apparentent plus à des expériences pour lui-même, à des exercices pour autrui. Ainsi en est-il de la brève étude n°21, Some Southpaw Pitching (ca.1919), qui a pour objet de faire travailler la main gauche, où la musicologue Sylviane Falcinelli (signataire de la présente notice) repère les alliages entre art savant et populaire chers à l’auteur de Concord Sonata [lire nos critiques du CD par les pianistes Hamelin, Lioubimov et Mayer]. Né à Brooklyn (New York) sous le nom de Jacob Gershowitz, George Gershwin (1898-1937) est la parfaite incarnation du fils d’exilés ayant embrassé le Rêve américain grâce à des comédies musicales à succès. Certains thèmes se retrouvent dans Songbook (1930) dont résonne ici une douzaine d’extraits. Enfin, quittons ce siècle avec Aaron Copland (1900-1990) dont le cycle Four Blues (1926-1948) prouve d’une volonté ancienne d’intégrer à ses compositions un jazz moins bien accepté at home que dans la France où il étudia jadis.

Si David Lively souhaite faire renaître en nous « le timbre de Billie Holiday, la sensualité de Marilyn Monroe, le chant plaintif de Miles Davis », difficile de ne pas penser à Webern dans Two thoughts about the piano (2006), parmi les ultimes pages d’Elliott Carter (1908-2012). Le pianiste, qui en a partagé le processus de création, explique ainsi la première pensée : « Intermittences (la référence proustienne est d’Elliott lui-même) explore toute la gamme des émotions amoureuses entre deux êtres, y compris – à l’instar de Samuel Beckett – l’incompréhension et l’incommunicabilité ». Chez Samuel Barber (1910-1981) également, on peine à trouver un intérêt pour le folklore national, si ce n’est justement dans le magnifique Excursions Op.20, faisant se succéder la rumeur urbaine, l’indolence du blues et l’écho d’une célèbre ballade de cow-boy (The streets of Laredo). Mais chassez les amateurs de cake-walk, ils reviennent au galop ! William Albright (1944-1998) puise dans une danse paysanne des Appalaches pour concevoir Hoedown, la quatrième des Cinq danses chromatiques (1976), tandis que William Bolcom (né en 1938), seul compositeur vivant de l’album, revisite la Genèse à la lumière de l’esprit rag. Dans The serpent’s kiss, extrait de The garden of Eden, les chocs sur le corps du piano et les claquements de langue de l’interprète en disent long sur le tentateur à l’œuvre.

S’il a toujours défendu la musique de son pays natal [lire nos chroniques du 10 mars 2012 et du 20 mars 2005], David Lively en offre aujourd’hui une large palette digne d’attention, sublimée par son art de coloriste nuancé et émérite.

LB