Chroniques

par laurent bergnach

récital Duo Seigle
Bach – Falla – Gershwin – Ravel

1 CD Klarthe (2022)
KLA 139
Le Duo Seigle (violon et violoncelle) joue Bach, Falla, Gershwin et Ravel

Il y a quelques années, un disque parvenait à la rédaction d’Anaclase, intitulé Sur les routes de l’Est (Studio Passavant PAS 116053). Pas encore présenté comme un duo pérenne, Michaël et Nicolas Seigle y jouaient Kodály, Martinů et Šulhov, avec violon et violoncelle. Par manque de temps, nous n’avions pu chroniquer ce programme, mais il avait assez plu pour qu’en soit conservé le souvenir. Aujourd’hui, les deux frères d’origine lyonnaise proposent un voyage plutôt intérieur, si l’on en juge par le wagon de train Praha–Budapest remplacé par une montre à gousset. « Nous sommes les héritiers d’un monde passé, expliquent-ils, et notre rôle et devoir d’artiste est de façonner le présent à partir de cet héritage » (notice du CD). Si besoin, les deux artistes recourent à la transcription, comme pour les quatre Duetti BWV 802-805 (1739) de Johann Sebastian Bach (1685-1750), joués avec une grande fluidité et un phrasé enchanteur.

De la Sonate (1922) de Maurice Ravel découle le contenu du disque, puisque le natif de Ciboure (Pyrénées-Atlantiques) y fait converger répertoires ethniques venus d’Espagne, chant hébraïque, jazz et musique ancienne. Commande du musicologue Henri Prunières pour célébrer Debussy disparu en 1918, l’œuvre en quatre parties est conçue laborieusement – « ce bougre de duo me donne bien du mal » –, et remaniée plusieurs fois avant sa création. Affichant un folklore imaginaire, l’Allegro est donné avec beaucoup de nuance et de raffinement, que suit le mouvement Très vif, tonique et d’un grand relief. Lent présente une déploration ravélienne familière, puis vient l’ultime portion, Vif, avec entrain.

Avant l’exil argentin des dernières années, Manuel de Falla (1876-1946) a longtemps séjourné en France (1907-1914) où il fit la connaissance de Ravel et de la cantatrice Luisa Vela qui lui demanderait un cycle célébrant différentes régions de leur pays natal (Asturies, Murcie, Aragon, etc.). Il s’agit de Siete canciones populares españolas (1915), duquel son auteur écrirait : « je pense modestement que c’est plus l’esprit que la lettre qui importe dans le chant populaire. Le rythme, la modalité et les intervalles mélodiques déterminés par leurs inflexions et leurs cadences constituent l’essentiel de ces chants » (ibid.). Cédric Granelle signe l’arrangement, tandis que Noëmi Waysfeld, dont on apprécie la voix chaude, se joint au Duo Seigle sur quelques portions du cycle.

Durant les années vingt, l’Europe découvre le jazz, une énergie nouvelle dont s’emparent Milhaud (Le bœuf sur le toit), Satie (Parade) et Ravel (L’enfant et les sortilèges). Ce dernier, qui recommande aux Américains de juger cette musique avec sérieux, rencontre George Gershwin (1898-1937) à New York. Dans cette ville cosmopolite, le natif de Brooklyn s’est construit entre divers sonorités (klezmer, blues, etc.) qui infiltrent nombre d’opus devenus des standards. Malheureusement, de même que Kaddish, première des Deux mélodies hébraïques (1914), trahissait Ravel, The Man I Love (1924), Embraceable You (1928) et A Foggy Day (1937) sont proposés avec un chant(onnement) alangui et sans pulsation qui déconstruit la mélodie jusqu’à la transformer en musique d’ambiance, virtuose mais sans charme. Comme des miettes dans les rouages d’une montre, l’invitée du Duo Seigle gâche donc la fin de la fête.

LB