Chroniques

par laurent bergnach

récital Ensemble Aedes
Britten – Hindemith – Lawson – Martin – Martinů – etc.

1 CD Eloquentia (2012)
EL 1237
récital de l'Ensemble vocal Aedes

Après un premier volume qui regroupait des musiciens de pays très variés – Angleterre (Vaughan Williams), Belgique (Schroyens), Canada (Murray Schafer), Finlande (Mäntyjärvi, Rautavaara) et France, bien sûr (Debussy, Hersant, Ohana, Poulenc) –, l’Ensemble vocal Aedes poursuit son exploration du répertoire choral a capella des XXe et XXIe siècles, sous le doux nom de Ludus verbalis. Tout aussi éclectique, ce deuxième volume repose sur « sept cycles où le mot, sa sonorité, et l’espace du jeu et d’imaginaire qu’il dégage, sont au centre de la création musicale », pour reprendre les termes de son fondateur (2005) et directeur musical Mathieu Romano.

Majoritaires au programme, quatre des cycles appartiennent à la première moitié du XXe siècle. Avec Trois chansons (1915) dont il écrit les textes, Maurice Ravel s’inscrit dans la tradition de la chanson polyphonique avec son unique contribution à ce répertoire choral. Nicolette, Trois beaux oiseaux du paradis et Ronde plongent l’auditeur dans un univers suranné digne de Ma mère l’Oye, peuplé d’amoureux séparés par la guerre, de vieilles gens lubriques ou sentencieuses.

Entendre les Motets de Monteverdi sous la direction de Nadia Boulanger (mars 1936), être sollicité par les Chanteurs de Lyon et avoir en tête Belle et ressemblante, extrait de La vie immédiate (1932), conduisit Francis Poulenc à composer Sept chansons (1937). « J’avais d’abord pensé en faire une mélodie, confie-t-il à Claude Rostand, mais l’accompagnement au piano ne pouvait que l’alourdir. » L’idée d’un chant a cappella naît alors, de même que celle d’ajouter, pour trancher avec le statisme d’Éluard (À peine défigurée, Par une nuit nouvelle, Tous les droits, Belle et ressemblante, Luire), deux poèmes « plus légers et rythmiques » d’Apollinaire (La Blanche Neige, Marie) – des auteurs déjà fréquentés pour Le bestiaire (1919) et Cinq poèmes (1935).

Peu avant son exil américain, Paul Hindemith compose Six chansons (1939) à partir de Vergers (1926), un des ouvrages que Rilke écrit directement en français à partir de 1919, époque de son installation en Suisse. Le cycle se situe donc entre tradition française et culture germanique. Restons en Helvétie avec Songs of Ariel (1950) de Franck Martin, cinq monologues de l’esprit au service de Prospero qui annoncent l’opéra Der Sturm, créé à l'Opéra de Vienne le 17 juin 1956. Dix ans après son ballet sur Cendrillon, le compositeur mêle ici fantaisie (glas des naïades) et gravité (apostrophe aux « trois hommes coupables »).

Lui aussi contraint de gagner les États-Unis au moment de la Seconde guerre mondiale, Bohuslav Martinů écrit Quatre madrigaux (Čtyři madrigaly, 1959) quelques mois avant sa mort. Il y retrouve l’esprit de la Renaissance tout en puisant dans le folklore tchèque, pétri des tristesse et fébrilité liées à l’état amoureux.

Avec sa grande variété de styles et d’humeurs, Sacred and Profane (1975) est l’une des dernières œuvres de Benjamin Britten, fondée sur des textes anonymes médiévaux. Faisant suite aux différentes Paraboles, elle semble un résumé de la relation particulière du musicien avec l’église, « l’une des réalités palpables de sa jeunesse, […] qui joue un rôle important dans sa vie de créateur, sans pour autant que sa musique soit destinée à un usage liturgique » (Christopher Palmer). L’impact et la nuance des chanteurs servent au mieux ces huit pièces.

Enfin, toujours soucieux de défendre des pages nouvelles ou moins connues, l’ensemble Aedes a passé commande à l’Anglais Philip Lawson (né en 1957), arrangeur et baryton au cœur des King’s Singers durant près de deux décennies. A Yeats Trilogy (2011) rend compte d’une admiration de longue date pour le poète irlandais passé de l’héritage romantique à un style moderne sans concession. Caressantes, ses trois pièces n’en sont pas moins désuètes, comparées aux audaces des aînés. Elles n’empêchent pourtant pas notre rédaction de saluer l’engagement des interprètes par une Anaclase !, avant la sortie de deux autres volumes annoncés.

LB