Chroniques

par michel slama

récital Ensemble Aedes
Debussy – Fauré – Poulenc

1 CD Aparté (2019)
AP 201
L'Ensemble Aedes chante Debussy, Fauré et Poulenc

Un album original entièrement dédié à la musique vocale française vient de paraître chez Aparté. Il est consacré au Requiem de Gabriel Fauré et au répertoire a capella de Claude Debussy et de Francis Poulenc. Pour défendre ce programme ambitieux, le chef Mathieu Romano dirige, pour l’occasion, l’orchestre Les Siècles et l’ensemble vocal Aedes.

Si l’on exclut une version « temporaire et fragmentaire », inachevée de 1888, il existe aujourd’hui deux versions du Requiem Op.48 de l’aîné (1845-1924), celle chambriste de 1893 et la symphonique de 1901, pour grand orchestre et chœur, à laquelle nous sommes habitués. La formation instrumentale y est riche, dense et omniprésente, apportant à l’œuvre une puissance et une dramatisation inévitables. Mathieu Romano a choisi la mouture plus rare de 1893, à l’instrumentation atypique voulue par le musicien en vue de la création à l’église de la Madeleine (Paris). Il est surprenant de découvrir cette version chambriste pour cordes sans violon – seul un violon solo intervient pour accompagner le chœur dans le Sanctus – ni bois, mais avec des cuivres (trompettes, trombones et cors), harpe, timbales et orgue. Les Siècles jouent, de plus, sur instruments d’époque et Aedes prononce la liturgie latine à la française, de quoi faire perdre les repères et bousculer les habitudes prises avec ce chef-d’œuvre de l’art sacré français du tournant du XXe siècle… On ne pouvait prendre plus de précautions pour restituer la première version du Requiem de façon plus authentique.

Le résultat est plutôt mitigé. Certes, l’intimité et la sérénité désirées par le compositeur ariègeois sont plutôt respectées, mais la ferveur et la tendresse de cette musique, qui parle directement à l’âme, ont disparu. Le souci louable de respect des volontés de l’auteur pour la création finit par provoquer un effet contraire à celui recherché. On s’ennuie ferme et l’on regrette le grand orchestre qui permet plus de chaleur et d’engagement. L’absence des violons met en exergue des cuivres et des timbales tonitruants, ce qui disqualifie un Kyrie très inégal. Le Sanctus ne décolle pas. Le Pie Jesu que Saint-Saëns, le professeur de Fauré, mettait au même niveau que l’Ave Verum Corpus de Mozart, n’émeut pas et n’a rien de céleste. In Paradisum ne révèle aucune magie.

S’il est vrai que l’orchestration réduite ne facilite pas la tâche du chef, cette option offre une large place à l’excellent chœur Aedes qui, à plusieurs reprises, semble chanter a capella (Offertoire) avec un parti pris déclamatoire peu religieux, avare de nuances et de contrastes. Nous ne sommes ni chez Brahms ni chez Verdi, mais un peu de couleurs et de théâtre pimenterait cette interprétation sans passion. Par ailleurs, le choix de solistes issus du chœur pour les parties de baryton solo et de soprano solo était recommandé par Fauré lui-même, « un baryton-basse tranquille, un peu chantre » et « un soprano, garçon ou femme ». Si les deux choristes mis en exergue sont honnêtes, ils ne peuvent rivaliser avec le Gotha des barytons et soprani, voire des contreténors qui ont interprété et gravé cet opus à de nombreuses reprises. Le chanteur ici présent manque de graves dans le fameux Libera me et le soprano n’a pas l’aigu aérien et virginal attendu dans le Pie Jesu. Pour le Dies Irae, le chef ne dose pas assez les roulements de timbales et la prestation des cuivres donne des allures de péplum à cette partition rendue grandiloquente et pesante. Cette sensation provient peut-être de la difficulté d’une captation en public, dans une abbaye (celle de Lessay).

Retour aux studios de La Seine Musicale, à Boulogne-Billancourt, pour la célèbre Figure Humaine de Poulenc et Trois chansons de Charles d’Orléans de Debussy. On retrouve toute la perfection et le talent d’Aedes qui touche au sublime dans ces pages fréquentées par les seuls amateurs de musique vocale [lire notre critique du CD]. Le travail d’orfèvre de Poulenc, entre polyphonies complexes et techniques vocales particulièrement exigeantes, est admirablement servi par cet ensemble qui offre une prononciation optimale du français. La cantate pour double chœur fut composée en 1943 sur des poèmes de son ami Paul Éluard, rencontré en 1919. L’œuvre se veut un manifeste pour la liberté contre l’occupation allemande. Dans une lettre du 28 octobre 1943 adressée à la Princesse de Polignac, Poulenc confie « je crois que c'est ce que j'ai fait de mieux. C'est en tout cas une œuvre capitale pour moi si elle ne l'est pas pour la musique française ». Elle fut publiée en secret à Paris, puis envoyée à Londres où elle fut créée en 1945, en anglais. Le superbe poème Liberté clôt idéalement ce cycle surréaliste dédié à Pablo Picasso et à Denise Tual.

Les Trois Chansons de Charles d’Orléans sont d’exquises miniatures écrites autour de 1898. Charles Ier d’Orléans (1394-1465) était le neveu du roi Charles VI ; il légua une œuvre poétique considérable : cent trente-et-une chansons, cent deux ballades, sept complaintes et quatre cents rondeaux. Dans sa défense de la culture française, Debussy choisit de mettre en musique les vers de ce prince poète, dans son unique production pour chœur mixte a capella, exaltant le folklore français par des cadences modales et des ornements archaïques. Cet enregistrement reste très attachant pour cette partie.

MS