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Chroniques
récital Erwan Keravec
Glass – Goebbels – Radigue
Après avoir entouré sa cornemuse d’instruments atypiques (trélombarde, biniou, etc.) ou de chanteurs [lire notre critique du CD], Erwan Keravec revient à une exploration en solitaire qui fut celle de son premier album, Urban Pipes (2007). Il réunit aujourd’hui les compositeurs Heiner Goebbels, Philip Glass et Eliane Radigue, trio avec lequel « l’écoute passe du très large, puissant, envoutant jusqu’au pianissimo calme » (notice du CD).
Connu pour mettre en scène ses propres pièces [lire nos chroniques des 15 mars 2014, 27 octobre 2012 et 23 septembre 2009], Heiner Goebbels (né en 1952) invita le natif de Bretagne à créer un solo sauvage (« wild ») pour l’édition 2018 de Schlossmediale (Werdenberg, Suisse). Selon l’interprète, N°20/58 « est pensé comme un chemin de croix qui part du lointain pour finir proche en passant par un foisonnement de trilles qui lient deux Arias de Jean-Sébastien Bach » (ibid.). D’abord ensevelie sous les sons d’une bande enregistrée, la cornemuse affronte ou alimente un univers cauchemardesque (orage, tonnerre, martellement industriel, etc.) qui ne peut laisser indifférent.
C’est grâce au sonneur Matthew Welch qui en a gravé une version pour cornemuse en si bémol – la cornemuse écossaise – qu’Erwan Keravec s’est intéressé à Two Pages (1968) de Philip Glass (né en 1937). Responsable de la prise de son et du mixage du présent enregistrement, Manu Le Duigou a disposé un arbre à micros au milieu du studio pour capter au mieux une infinité de couleurs acoustiques, en particulier dans ce quart d’heure au flux continu qui voit le musicien se déplacer lentement de droite à gauche. On admire la virtuosité de l’interprète, qui mène facilement à la transe.
Terminons avec Éliane Radigue (née en 1932). Pionnière de la musique synthétique qui fut proche de deux Pierre dans les années cinquante, Schaeffer et Henry, la compositrice fête au printemps 2021 son demi-siècle d’activité, si l’on considère comme elle la date de son premier vrai concert, à New York, le 6 avril 1971. Depuis vingt ans seulement, elle accepte de collaborer avec des admirateurs de son art, tels le bassiste Kasper Toeplitz ou la clarinettiste Carol Robinson – d’ailleurs également compositeurs.
L’idée d’Occam Ocean lui est venue lors d’une visite de la section géologie du musée de Los Angeles, en 1970. La première partie du titre fait référence à un livre de science-fiction lu à l’époque, Le rasoir d’Occam ; pour ce qui est de l’océan, avec ses grandes vagues et ses légers clapotis, « c’est ce qui nous permet le mieux d’avoir sur terre le sentiment physique de cette immensité » qui cerne l’être humain (in Bernard Girard, Conversation avec Éliane Radigue, Aedam Musicae, 2013) [lire notre critique de l’ouvrage]. Nouvelle pièce ajoutée au cycle, Occam XXVII hypnotise l’auditeur non par sa structure, comme le fait Glass, mais par sa matière même, variété de grincements (grain-cements), grésillement et bourdonnements qui mutent pendant un peu plus de vingt minutes.
LB