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Chroniques
récital Fanny Vicens
Castellarnau – Combier – Edler-Copes – Giménez-Comas – etc.
Cinq ans après l’album Schrift [lire notre critique du CD], Fanny Vicens est de retour avec sept nouvelles pièces valorisant son instrument fétiche : l’accordéon. Cette fois, elle le confronte à l’électronique, ainsi que l’accordéon microtonal XAMP, pour qu’il soit « ausculté, analysé, radiographié », comme il est écrit dans une note d’intention qui se poursuit avec ces mots : « les sonorités obtenues d’un tel mélange seront celles d’un entre-deux mondes, tantôt connues, familières, voire rassurantes, et soudainement inouïes, déconcertantes ou affolantes ».
Parmi les compositeurs, la place de l’aîné revient à Pierre Jodlowski (né en 1971), suivit de près par Jérôme Combier. Le Toulousain a conçu Something out of Apocalypse (2012) armé de sa pratique de la basse électrique et d’un diplôme en composition électroacoustique. Marquée par le souvenir sonore du cultissime Apocalypse Now (Coppola, 1979), l’œuvre présente « un état nostalgique (l’instrument étant pris pour ce qu’il fût, fragments récupérés de vieux bals de villages) en même temps qu’une énergie étrange, assez incontrôlable qui avance sans trop de liens au travers d’un espace onirique où l’on continue d’entendre des coups de canons, des cris et des guitares saturés » (ibid.). Proche du collage, cette pièce multiplie les surprises sonores durant plus d’un quart d’heure. Quant à celle de Combier, Ki-Ka-Pou (2016), elle intrigue en cultivant une sensation de chute et de dérapage qu’accentue la présence de microtons.
Aussi à l’aise avec un crayon qu’avec une guitare électrique – un instrument avec lequel il a enregistré In C, de Terry Riley –, Aurelio Edler-Copes (né en 1976) aime la fusion. Dans Cantiga (2006), le compositeur fait référence aux Cantigas de Santa María, fameux recueil de chansons monodiques rédigé pendant le règne d’Alphonse X (1221-1284), cherchant à évoquer des sons archaïques dans un univers contemporain. Avec un développement qui s’écarte complétement du matériau, l’œuvre offre une promenade assez mélancolique ponctuée par des échos familiers (vieille à roue, cornemuse, harmonium, etc.). Né lui aussi en 1976, Alexander Vert est directeur de l’ensemble Flashback (fondé en 2012), mais également l’auteur de la pièce qui donne son titre à l’album, Turn on, tune in, drop out (2017) – une des plus faibles de l’album.
Ancien élève d’Agustí Charles (Barcelone), Stefano Gervasoni et Yan Maresz (Paris), Carlos de Castellarnau (né en 1977) trouve son inspiration dans la peinture – comme l’indiquait sa pièce Antropofauna en création au festival ManiFeste [lire notre chronique du 20 juin 2015] –, et plus spécialement dans la veine grotesque qu’il tente d’explorer dans le domaine qui est le sien, avec l’hybridation. De Natura Morta (2014), il dit : « ce sont les éléments sonores issus de la transformation du son naturel de l’instrument qui m’ont fait penser au genre pictural des natures morteset à des représentations d’objets inertes du quotidien ». Inventive et animée, sa proposition s’écarte de la contemplation qu’autoriserait un genre fondé sur la représentation d’éléments inanimés.
Il n’est pas très galant d’évoquer les compositrices en dernier, mais il se trouve qu’elles sont les benjamines du programme – nouvelle vague de ces créatrices qui font l’objet d’un mouvement de reconnaissance depuis une décennie. Autodidacte à ses débuts, Mayu Hirano (née en 1979) s’intéresse à des courants variés de la musique (répétitive, improvisée, etc.). Instant suspendu (2014) est une pièce contrastée qui garde en éveil par l’évocation d’une éternité sans fin, de façon non figée. Terminons avec Núria Giménez-Comas (née en 1980), elle aussi passée par l’Ircam [lire notre chronique du 13 avril 2013], après avoir été sensibilisée à l’électroacoustique par Christophe Havel. Touchée par la lecture du Bâtiment de pierre (2009) d’Aslı Erdoğan et par l’expérience du confinement sanitaire, la musicienne livre avec De l’intérieur (2021) une réflexion sur le passage, musical autant que spatial, vers l’extérieur. Assez intimiste, le résultat est mâtiné d’oisiveté autant que de vacuité.
LB