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Chroniques
récital Florian Noack, pianiste et transcripteur
Bach, Chostakovitch, Mendelssohn, Prokofiev, Rimski-Korsakov, etc.
On savait Florian Noack bon pianiste, on le sait musicien excellent et l’on a goûté deux de ses transcriptions lors d’un récital parisien qu’en guise de bis elles clôturaient [lire notre chronique du 21 octobre 2023]. Enregistrées en tout début d’année 2023, à la Maison de l’Écoute de Mons, en Wallonie, voici huit pages à travers lesquelles l’artiste a promené ses doigts avec bonheur, bien qu’elles n’aient point été initialement conçues pour son instrument.
Ainsi de Danserye, recueil de danses du XVIe siècle qu’il écouta enfant « pour finalement les retrouver des années plus tard au hasard de la musique du film Elizabeth (1998) avec Cate Blanchett », dit-il (brochure du CD). Arrangées pour quatre voix par l’Anversois Tielman Susato (c.1515-1570), trois d’entre elles sonnent désormais sur un Steinway D-274 que prépara Cyril Mordant, dans une délicate saveur d’autrefois, bien que sans maniérisme excessif. Si Dont vient cela parle plus intimement à notre cœur, on est plaisamment surpris de découvrir Den Hoboeckendans inspiratrice du ménestrel italien des années quatre-vingt, Angelo Branduardi (Il Signore di Baux, 1979) ! Dans la même veine de transmissions subtilement modifiées, le Concerto en si mineur RV 580 de Vivaldi, pour quatre violons, dixième de L’estro armonico (1711), devint en 1735 le Concerto en la mineur BWV 1065 de Johann Sebastian Bach, auteur de sa traduction pour quatre clavecins. Et Florian Noack de bravement en signer l’adaptation pour piano solo et, plus bluffante encore, l’interprétation qui transmet exactement les deux originaux, pour ainsi dire, sans déperdition trop accusée et même avec un gain certain quant à l’impact. La fascinante fluidité du Largo laisse pantois.
C’est suite aux séances chorales imposées par l’enseignement qu’il suivit à la Hochschule für Musik und Tanz de Cologne qu’il vint idée au jeune pianiste [lire nos chroniques du 25 juillet 2016 et du 20 juin 2021] de s’atteler à une version pianistique de l’erste Walpurgisnacht Op.60, cantate composée entre 1830 et 1833 par Felix Mendelssohn, sur le poème de Goethe. Il en réalise une page soliste magistrale dont il magnifie le romantisme caractéristique avec une sensibilité altière. « L’envie d’écrire une Paraphrase d’après les différentes valses de Strauss est née de l’amour que mon père porte à cette musique, et de tous les Concerts du Nouvel An que nous avons visionnés ensemble » : ainsi introduit-il l’écoute de son travail, voyage ô combien fruité dans un univers de bal délicieusement désuet, traversé d’une aura festive puis conclu dans l’hésitation d’un ressort de boite à musique en fin de course – so cute !
Autre climat musical fin de siècle, celui du symbolisme du plus grand orchestrateur russe de son temps, Nikolaï Rimski-Korsakov, penché sur Les mille et une nuits avec sa suite symphonie Shéhérazade Op.35, créée à l’automne 1888, dans la capitale impériale. « Je me suis efforcé, tout en condensant l’œuvre, d’en garder l’esprit et d’évoquer […] cette luxuriance orchestrale » : ainsi l’artiste présente-t-il son arrangement, déjà enregistré sous label Ars Production pour une parution en 2017 (avec les transcriptions du Lac enchanté de Liadov, de la suite d’Aleko de Rachmaninov et de la suite du Lac des cygnes de Tchaïkovski avec l’ouverture-fantaisie Roméo Juliette). En effet, la proposition conjugue habilement un dépouillement relatif des énoncés tout en invitant le chatoiement si personnel au maître de Zagorodny Prospekt. Jamais l’enchantement n’est loin, tant dans les moires secrètes de méditations volontiers érotisées que dans l’enthousiasme sensuel des danses, grâce à un toucher de velours, où se disputent fermeté et caresse, ainsi qu’à un phrasé volontiers rêveur. Alors qu’il contribuerait à la verve constructiviste de la jeune URSS, Sergueï Prokofiev écrivit, entre vingt-cinq et vingt-sept ans, la première de ses sept symphonies, la « Classique » en ré majeur Op.25 dont il dirigera la création à Saint-Pétersbourg, au printemps 1918, dans une capitale gouvernée par une révolution non encore stabilisée. La clarté jubilatoire avec laquelle Florian Noack, dont notre équipe a salué d’une A! l’album Visions fugitives [lire notre critique], en livre le roboratif Allegro d’ouverture, digne d’une scène de ballet, mène à l’heureuse méditation du Larghetto, soigneusement pédalisé, dans une savante lumière. Ce bel art de la nuance, on le retrouve dans la souple Gavotte, fort élégamment infléchie, à laquelle succède le fol galop final, irrésistible Molto vivace. Ce récital passionnant s’achève avec la Valse Op.99a n°2 de Dmitri Chostakovitch, extraite de la Suite pour orchestre de variété n°1 Op.50b collectée par le compositeur en 1956. Rendue très célèbre par de nombreuses utilisations, cette page provient en fait de la musique livrée au réalisateur Mikhaïl Kalatozov pour son film Le premier convoi (Первый эшелон, 1956), de même que tous les mouvements empruntent à d’autres musiques de ballet et de film.
…bis ?... Le titre de l’album est I wanna be like you, la fameuse chanson du roi Louie, l’orang-outan qui en a marre de faire le singe ! Noack signe une version gourmande de cette page écrite par les frères Sherman pour The Jungle Book de Disney (1967). Quoi de mieux pour conclure une galette d’un bout à l’autre dansante ?
BB