Chroniques

par laurent bergnach

récital Françoise Masset
Bruneau – Février – Caplet – Hahn – Halphen – etc.

1 CD Hortus (2016)
716
Le soprano Françoise Masset chante Verdun par les compositeurs au front

Près de dix millions de vies furent perdues pendant les quatre années que dura la Grande Guerre. Plus que la bataille de la Somme (du 1er juillet au 18 novembre 1916), fatale à tant de jeunes volontaires inexpérimentés [lire notre critique du CD Sacrifice, dans la même collection], celle de Verdun (du 21 février au 18 décembre 1916) est devenue le symbole de ce massacre européen, avec trois cent mille tués. Nombre de poètes et musiciens ici réunis combattirent autour de la ville meusienne, certains de leurs opus gardant la trace directe d’une composition au front. C’est le cas de Cinq petites chansons (Clermont-en-Argonne), Lettre de chez nous (Main de Massiges), In una selva oscura (Amblonville), Ô Morts (Ligny-en-Barrois), Chansons de la Woëvre (Verdun), etc.

Interprétées par Françoise Masset, les vingt-deux mélodies du volume XVI sont variées de climats (nationalisme, humour, nostalgie, etc.) comme de genre (savant, populaire). C’est pourquoi la notice du CD, signée Jean-Christophe Branger, fait référence à la figure du soprano Marthe Chenal (1881-1947), engagée auprès des plus faibles. « Ce fut, pendant la guerre, écrit Albert Carré en 1927, une patriote ardente qui se prodigua pour apporter à nos soldats, à nos blessés, l’inlassable réconfort de son talent et de sa voix ». Le jour de l’Armistice, sur les marches de l’Opéra de Paris, on retrouverait celle qui servit tant de musiciens aujourd’hui ignorés (Erlanger, Pierné, Reyer, etc.), à chanter La Marseillaise devant des milliers de Parisiens.

Onze compositeurs sont au programme, dont quatre sollicités plusieurs fois. Honneur à Reynaldo Hahn (1874-1947) avec Aux morts de Vauquois et quatre pages des Cinq petites chansons : La balançoire (n°1), Nuits de grand vent (n°2), Mon petit bateau (n°3) et Un bon petit garçon (n°5). Celui qui ne demanda aucune faveur sur le champ de bataille [lire notre critique de l’ouvrage Un éclectique en musique] cultive une poésie touchante et souvent pudique, avec l’enfance pour refuge. En ce sens, il est à l’antithèse du chromo patriotique qu’entretient Henry Février (1875-1957) dans Chansons de la Woëvre dont voici quatre extraits : Mimi Pinson met sa cocarde (n°4), Chanson de ma mie (n°5), La lettre (n°7) et Octobre (n°8). Ces chansonnettes intéressent seulement si teintées de mélancolie.

André Caplet (1878-1925), dont Debussy vantait « la jolie sensibilité » (1908), apparaît trois fois, avec Solitude, Prière normande et un extrait du Vieux coffret, In una selva oscura. On chérit le premier, page délicate qui suspend le temps pour une introspection « dans un profond silence ». Comme Hahn, Jacques Pillois (1877-1935) oublie la guerre via une rêverie teintée d’érotisme et une tristesse intemporelle. En témoignent les mélodies inaugurales de Feuillets de guerre (premier recueil), Il est un air… (n°1) et Mi-brise, mi-brume (n°2), écrites à Fleury-sous-Douaumont et Vaux-devant-Damloup, deux des neufs villages entièrement détruits par les assauts verdunois. De son côté Vincent Scotto (1874-1952), l’homme aux soixante opérettes, approche le café-concert avec Les tourneuses d’obus et La tranchée aux étoiles.

Six mélodies complètent ce récital que Françoise Masset donne d’un soprano corsé, ample et nuancé, dont certaines emphatiques et tire-larmes : Le tambour d’Alfred Bruneau (1857-1934) – créé par Chenal le 20 janvier 1916 –, Les dernières pensées (page n°5 de Six ballades françaises) de Gabriel Pierné (1863-1937), La petite bague de la tranchée de Paul Ladmirault (1877-1944), Ô Morts de Jacques de la Presle (1888-1969), Lettre de chez nous signée Pierre Vellones (1889-1939) et Vieille chanson de Fernand Halphen (1872-1917), un artiste abattu avant l’Armistice. Sur un piano Pleyel 1920, Anne le Bozec accompagne la chanteuse en alternant intemporalité et pastiche (baroque français, etc.), recueillement et figuralismes (mitraille, burin, galop, etc.).

LB