Chroniques

par samuel moreau

récital Hélène Guilmette
Daunais – Hahn – Poulenc

1 CD Ambroisie (2005)
AMB 9971
récital Hélène Guilmette (soprano) | Daunais – Hahn – Poulenc

Saluons d'emblée le soprano Hélène Guilmette pour ce programme de mélodies françaises des plus originaux ! Même en choisissant l'incontournable Francis Poulenc, la jeune Québécoise sort des sentiers battus, avec Airs chantés (1927-28), peu gravés ces dernières années, à notre connaissance. Sans doute faut-il y voir un lien avec l'opinion même du compositeur sur ce cycle de quatre airs. Tout d'abord, Poulenc détestait Jean Moréas (1856-1910) qui gagna en classicisme après avoir défendu le symbolisme – « j'ai choisi justement ses poèmes parce que je les trouvais propices à la mutilation » – ; ensuite, s'étant lancé dans l'aventure pour ridiculiser la pompe de ces écrits, il en est ressorti dégoûté, souffrant d'avoir écrit une de ses « mauvaises mélodies » (Air grave), ainsi qu'une autre dont le succès l'agaça (Air champêtre), incapable pendant longtemps de servir la mélodie.

Après Fiançailles pour rire, Poulenc revient à la poésie de Louise de Vilmorin, en 1943. Ses trois Métamorphoses s'achève sur Paganini, un air jugé médiocre en lui-même, mais « utile pour servir de tremplin à une mélodie lyrique », le fameux C d'après Aragon, que l'on retrouve ici avec Fêtes galantes, son pendant plus échevelé. Nos souvenirs qui chantent complète ce programme Poulenc, avec Les chemins de l'amour, valse créée par Yvonne Printemps pour Leocadia, la pièce de Jean Anouilh.

Élève de Massenet, Reynaldo Hahn (1875-1947) commence une carrière de compositeur (puis de chef d'orchestre) par l'écriture de mélodies pour piano. Très tôt confronté à l'univers des salons, son ambition artistique n'a jamais cherché la remise en question, et jusqu'à sa disparition – il était alors à la tête de l'Opéra de Paris, aux côtés de Désormières –, cet admirateur de Mozart a privilégié le langage classique le plus éprouvé. Chanteur doué lui-même, il compose opéras et opérettes, mais surtout quelques cent vingt-cinq mélodies, dont sept sont données ici. « Une phrase musicale me charme et me ravit, disait-il, mais ne m'émeut jamais : il n'y a que les sentiments qui m'émeuvent. » Ami de nombreux écrivains, il ne dédaigne pas ceux du passé, comme Charles d'Orléans ou Théophile de Viau, pour peu que leur poésie soit galante.

Né à Montréal en 1902, mort en 1982, le baryton Lionel Daunais fait ses débuts à l'opéra et en récital en 1926. Le Prix d'Europe, reçu avec fierté la même année, lui permet de poursuivre ses études musicales à Paris, avec Emile Marcellin, de l'Opéra Comique. Il chante ensuite une année à l'Opéra d'Alger (Carmen, Faust, Manon…) avant de revenir au Canada, en 1930. Très actif dans la vie musicale de son pays (création du Trio lyrique, des Variétés lyriques), n'hésitant pas à utiliser radio et télévision pour promouvoir l'art vocal, il harmonise notamment des chants populaires, compose une quarantaine de chansons pour enfants, une centaine de mélodies pour voix et piano.

Comme Poulenc, son contemporain qui lui conseilla de ne jamais rougir de l'esprit cocasse récurrent dans sa musique, Daunais est sensible aux belles mélodies humoristiques – Fantaisies dans tous les tons (1960) – et à la poésie d'Éluard – Deux poèmes (1973). Ce cycle repose sur l'évocation de couleurs, avec quelques sonorités exotiques qui servent de petites histoires de sa plume, bien construites et pleines d'esprit – « Un vieux mandarin de Pékin / et qui souffrait un peu du foie / devenait cocu chaque fois / que sa femme allait à Nankin ». On pense souvent à Satie pour certaines situations absurdes, aux Chansons Gaillardes de Poulenc pour les sous-entendus, mais le ton reste particulier. Dans les deux extraits des Cinq poèmes d'Eloi de Grandmont (1921-1970), en revanche, c'est une émotion amoureuse lucide qui est évoquée, mais très loin des mièvres serments entendus trop souvent.

Voix cristalline, timbre subtilement mordoré, diction claire et expressivité mesurée, Hélène Guilmette – 2ème Prix au Concours Elisabeth de Belgique, l'an passé – enchante par son naturel et sa fraîcheur. Si l'on notait d'abord quelques petits soucis dans les passages à l'aigu (Hahn), l'éclat et l'aisance dans ce dernier s'avèrent indéniables. Avec le soutien attentif de Delphine Bardin au piano (élève de Paule Grimaldi et Pierre-Laurent Aimard, récompensée de nombreux prix pour ses talents d'accompagnatrice), le soprano livre un disque non seulement recommandé aux amoureux de mélodie française, mais qui nous fait espérer une nouvelle collaboration entre les deux artistes.

SM